Les touristes britanniques ont transformé la très sérieuse station de Verbier en un lieu de fêtes complètement débridées. Reportage jusqu’aux petites heures du matin.
Debout sur le bar, une jeune Anglaise se bat avec son pantalon de ski. Il ne cesse de remonter, masquant la bande de peau et de slip qu’elle aimerait exhiber. Autour d’elle, une dizaine de filles se trémoussent frénétiquement sur une reprise de U2.
Les pichets de bière circulent et remplissent les verres qui se tendent. Certains fêtards boivent à même le pot. Il est à peine 17 heures.
Cette scène se répète tous les jours au Farinet, un bar de Verbier connu loin à la ronde pour ses après-ski enfiévrés.
Sitôt descendus des pistes, les très nombreux Anglais présents dans la station s’y précipitent. Des danses débridées s’improvisent par terre, sur les bancs, sur les tables et sur le comptoir du bar. Mieux vaut se trouver en hauteur, d’ailleurs, car il pleut de la bière, des verres, et mêmes des filles qui se jettent dans la foule depuis le zinc.
«Il y a quelque temps, j’ai reçu une lettre d’un avocat genevois outré que sont fils ait vu des Anglais entièrement nus à 19 h 30», raconte Laurent Royer, le gérant du lieu. Jadis huppée, la station de Verbier est devenue depuis cinq ou six ans une des destinations de fête favorites des habitants du Royaume-Uni. Le gérant de l’établissement s’est habitué aux frasques de ses clients, Britanniques à 70%.
«Ils jettent souvent leur verre par terre après l’avoir bu. Comme ils sont là pour s’amuser, nous les laissons faire.» Le Farinet importe donc directement d’Angleterre des verres spéciaux en plastique renforcé.
Ces touristes britanniques qui arrivent le plus souvent par vol charter pour un séjour de samedi à samedi — une minorité prenant un vol low-cost le temps d’un week-end — représentent une véritable manne pour la station. Décidés à passer une semaine inoubliable, ils dépensent sans compter. Le Farinet, lui-même en mains britanniques, en profite au maximum: c’est le seul endroit de Verb’s — comme l’appellent les anglophones — qui propose des concerts live tous les jours.
«Ces groupes sont là pour faire boire et chanter les gens», explique Laurent Royer. Une mission qu’ils remplissent avec succès puisqu’il suffit d’un week-end pour assécher les six cuves de 1000 litres du bar. En ce début de soirée, l’ambiance s’échauffe toujours plus. Le groupe organise le concours de «la fille la plus sexy». Certains soirs, il suffit de montrer un morceau de sein pour recevoir un «shot» de vodka gratuit.
Vers 20 h 30, après une énième reprise des Proclaimers, le groupe quitte la scène. Les forcenés de l’après-ski se dispersent rapidement dans la nuit froide. Débute alors une petite parenthèse de calme. Les fêtards en profitent pour se doucher ou manger un morceau.
Dès 22 heures, le Mont-Fort devient le nouveau pôle d’attraction nocturne. Au bar, impossible de passer commande en français: ici, la panachée se dit «shandy». La plupart des clients consomment de la bière. Il n’est pas rare de voir des commandes de dix ou douze pintes. En saison, le Mont-Fort est réputé être le plus gros débit de bière de Suisse.
Les filles sont en minijupe, bas résille et moon boots. Quant aux garçons, ils ont opté pour les déguisements. Superman sirote un shaker, tandis que Fred Flintstone commande des pintes au bar. «L’après-ski est top à Verbier. On skie la journée, on se soûle le soir», s’enthousiasme Wayne, 40 ans.
Pour cet entrepreneur de Bristol, déguisé en médecin, un stéthoscope autour du cou, il s’agit des premières vacances à Verbier. «La station est très connue en Grande-Bretagne, surtout le Mont-Fort, que nous appelons le « Stairway to Heaven ». Rentrer et dire qu’on a fait cette piste, c’est comme ramener un trophée.»
Il loge avec ses 21 copains dans un chalet en demi-pension, loué sur internet. Il ne sait pas s’il reviendra. «J’ai acheté un lopin de terre à Villars pour y construire un chalet», explique-t-il entre deux shots de vodka au caramel.
A partir de minuit, l’ambiance devient plus délurée. Dans un coin du pub, Tristan, Laurence et Robbie attirent tous les regards. Ils sont habillés respectivement en clown, en chevalier, et en femme, grâce à un attirail impressionnant de faux seins en mousse. Ils portent encore leurs chaussures de ski et engloutissent bière sur bière, tenant une forme olympique.
«Nous avons commencé par le bar 1936 sur le pistes, avant d’aller à l’après-ski du Farinet puis au Mont-Fort. Nous n’avons même pas eu le temps de nous changer», raconte Tristan, 41 ans. Il est déjà venu six fois à Verbier.
Laurence, 30 ans, effectue en revanche sa première visite dans la station valaisanne. Ce lobbyiste, qui skie depuis vingt ans, accompagne ses onze amis d’enfance, tous originaires de Cambridge. Parmi eux se trouvent un DJ, un paysan et un joueur de rugby professionnel. Ils sont venus pour le ski, mais aussi et surtout pour l’après-ski. Ils ont conscience de l’image grivoise qu’ils donnent.
«Voir les réactions scandalisées des gens, c’est déjà la moitié du plaisir», sourit Laurence. Cependant, il n’apprécie pas d’être dénigré par les locaux, même s’il reconnaît que ses compatriotes ont tendance à «éventer leurs frustrations sur les pistes de ski».
A 1 h 30, les lumières se rallument. Le Mont-Fort ferme. Tout ce petit monde se dirige alors dans un joyeux vacarme vers la sortie pour rejoindre le Casbah, la discothèque du Farinet. Là-bas, l’ambiance est explosive. Des filles font du «pole dancing» debout sur une table sous le regard lubrique des hommes. Au coin du bar, un début de bagarre éclate, rapidement stoppée par les autres clients.
Ce soir, les DJ viennent spécialement de Grande-Bretagne: il s’agit de Hed Kandi, une déclinaison du Ministry of Sound, la célèbre boîte londonienne. «Vous ne vous sentez pas trop envahis par les Anglais? Il y en a partout», s’inquiète Matt, 33 ans. Ce médecin gallois loue un chalet à la semaine avec sept amis.
«Personne ne sait cuisiner, alors on s’est surtout nourris de bière.» C’est son dernier soir. «Vu l’heure, je ne pense pas que j’irai skier demain. Mais je reviendrai l’année prochaine!» Il est 3 heures. Un jeune Anglo-Saxon se penche et vomit par terre. Personne ne bronche. Un autre se fait discrètement sortir par un videur. A la fermeture, sur le coup des 4 heures, il règne une atmosphère de fin du monde. La soirée dure depuis douze heures.
Les moins fortunés regagnent le Bunker, le seul hôtel de la station destiné aux petits budgets. La plupart des résidents sont des Britanniques âgés de 18 à 30 ans, selon Marianne Regez, la responsable du lieu. Pour 25 francs, ces hôtes ont droit à un lit, un petit-déjeuner et l’accès à la piscine ainsi qu’à la patinoire. Pour 15 francs de plus ils ont la demi-pension.
Installé dans un abri antiatomique, hésitant suivant les heures entre les odeurs de pieds et celles de Javel, le Bunker évoque l’univers des cours de répétition. Pourtant, ses 120 lits sont pris d’assaut.
«C’est sûr, on ne dort pas très bien dans un dortoir à 35, confie Scott Rutherford, un Ecossais de 28 ans rencontré sur place. Mais personne ne vient ici pour dormir. Les gens rentrent se coucher vers 5 h 30 et à 8 heures ils se lèvent pour aller skier.»
Le jeune homme connaît bien la station, puisqu’il y travaille depuis trois ans comme saisonnier, notamment auprès de Téléverbier. «La paie est bonne. De toute façon je suis prêt à accepter n’importe quel job pour pouvoir rester à Verbier. J’aimerais aussi pratiquer mon français mais c’est dur, la station est très anglophone.»
Il compte trouver une colocation le plus vite possible. «Je vis mon rêve. Voilà plusieurs années que j’économise pour cela», déclare-t-il entre deux morces de sandwich au thon. Dans l’après-midi, les pistes paraissent presque vides. Les fêtards de la veille n’ont pas trouvé la force d’aller skier. Les premiers noctambules font leur apparition sur le coup de 13 heures à la terrasse du chalet Carlsberg, posée au milieu des pistes.
Musique lounge, transats et les sempiternelles pintes de bière sont au rendez-vous. Mais la température ne recommence véritablement à monter que vers 16 heures, à l’heure de l’après-ski. La station bagnarde se prépare à vivre une nouvelle soirée mouvementée…
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Ce reportage a été réalisé et écrit en collaboration avec Julie Zaugg.
Une version de l’article a été publiée dans L’Hebdo du 1er février 2007.
