CULTURE

Carlos Leal: «Le hip-hop a été mon meilleur professeur»

Pionnier du hip-hop en Suisse avec Sens Unik, le Vaudois Carlos Leal s’est lancé avec succès dans une carrière d’acteur. Il apparaît dans le dernier James Bond, «Casino Royale».

A 37 ans, Carlos Leal, la tête et la voix du groupe de rap Sens Unik, poursuit sa carrière sous l’éclairage exigeant du cinéma. Il fait même partie du prochain James Bond, «Casino Royale».

«Je joue le rôle du directeur du casino, confie-t-il. Si je préfère ne pas trop en parler, c’est parce que je sais que, parfois, les petits rôles peuvent sauter au montage final.» Carlos Leal a détaillé ses autres projets à Largeur.com.

Etait-ce important pour vous de représenter la Suisse au dernier festival du cinéma de Berlin?

Si j’ai pu aller à Berlin, je pense que c’est grâce au prix d’interprétation que j’ai reçu au festival de Soleure pour le film «Snow White», et peut-être aussi pour mon côté européen. C’est d’abord Swissfilms qui s’est chargé de choisir un acteur, puis c’est l’EFP (European Film Promotion) qui a donné son accord final. Cela a été pour moi un grand honneur de représenter la Suisse et une opportunité unique d’ouvrir ma carrière sur l’étranger. Depuis, je travaille aussi pour des productions allemandes ou espagnoles.

Par exemple?

Je viens de terminer une série à Madrid, «El comisario», dans laquelle j’interprète un psychopathe, pendant trois épisodes. J’ai aussi participé à une série allemande d’action, «Die Spezialeinheit», dont le tournage se déroulait en Grèce, en tenue militaire, sous 42°C.

J’enchaîne avec un gros projet produit par RTL Allemagne intitulé Tarragona qui se tourne à Majorque pendant six semaines. Il s’agit de la reconstitution d’une catastrophe survenue en 1978 dans un camping à Tarragone au cours de laquelle plus de 200 personnes ont trouvé la mort suite à l’explosion d’un camion-citerne.

On vous verra bientôt dans «Casino Royale», le dernier James Bond réalisé par Martin Campbell. Comment avez-vous réussi à vous faire remarquer lors d’un casting aussi compétitif?

Je crois qu’en France le casting a vu défiler environ 500 personnes pour seulement deux ou trois rôles à pourvoir. Je suis arrivé avec une proposition particulière: les jours précédant l’audition, j’ai appris un tour de magie avec des cartes et je l’ai ensuite introduit à la scène. J’imagine que c’est ce qui a dû plaire à la directrice de casting qui ne pouvait plus se retenir de rire derrière la caméra.

Comment voyez-vous la suite de votre carrière?

Malheureusement, les castings ne sont pas nombreux. Il faut chercher à participer à des projets, c’est beaucoup de travail pour, parfois, très peu de résultats. En tous les cas, il faut mettre les bouchées doubles pour que ça porte ses fruits. Je me profile pour l’instant essentiellement sur le marché européen.

Et financièrement?

Je vis de mon métier d’acteur depuis bientôt deux ans.

Etes-vous un boulimique de cinéma?

Je regarde plusieurs films par semaine. Quand je suis en déplacement dans un autre pays, j’essaie de voir le cinéma qui s’y fait.

Quel est votre premier souvenir de cinéma?

«Il était une fois dans l’Ouest», de Sergio Leone. Un monument épique sur l’arrivée des immigrés aux Etats-Unis, sur la construction de la voie ferrée reliant l’est des Etats-Unis à l’ouest, sur les espoirs des hommes, des femmes, et aussi sur la haine. C’est mon grand frère qui m’avait embarqué avec lui.

Avez-vous un film fétiche?

«Blow Up», de Michelangelo Antonioni. Au-delà du propos politique et social suggéré par le réalisateur, ce qui me touche, c’est l’esthétique de l’image, le modernisme et le charme de Londres à cette époque.

Par quels réalisateurs aimeriez-vous être dirigé?

Il y en a plusieurs, mais je crois qu’il faut faire confiance aux jeunes. En Suisse, ces deux dernières années, j’ai vraiment vu de très bonnes choses. J’aimerais participer à l’essor du cinéma suisse dont on peut réellement être fier.

Quels sont vos acteurs modèles?

En France, je dirais Jean-Louis Trintignant, à l’époque, et Benoît Magimel aujourd’hui. Pour ce qui est des Américains, je pense qu’ils ont franchement de l’avance sur nous, de Dustin Hoffman à Kevin Spacey ou Philip Seymour Hoffman (qui a endossé le rôle de Truman Capote en 2005 dans le film «Capote», ndlr). Je trouve aussi que les acteurs de l’Est – beaucoup moins médiatisés – sont parmi les plus impressionnants.

Dans le film «Snow White» du réalisateur irako-suisse Samir, vous incarniez en quelque sorte votre rôle, celui d’un jeune chanteur de rap. Quel genre de personnage aimeriez-vous jouer?

Les rôles les plus intéressants sont les personnages qui ont des failles mais qui les cachent. Un méchant n’est jamais uniquement méchant et un gentil jamais uniquement gentil. Si c’était le cas, on s’endormirait tous dans la salle^…

A quel âge avez-vous découvert le hip-hop?

J’avais 13 ans et c’est à travers le break-dance que j’ai été confronté à la culture hip-hop. Une fois par mois, la coupole de Bienne accueillait des danseurs venant des quatre coins de l’Europe. Le hip-hop repose sur un précepte de base qui dit en substance: «Transforme ton énergie négative en énergie positive.» Un moyen pour les jeunes des quartiers de se concentrer sur la création artistique plutôt que sur la délinquance. Parmi nous, il y avait de nombreux fils d’immigrés, ce qui m’a permis de découvrir des cultures différentes.

Qu’est-ce que le break-dance vous a appris?

La discipline et l’acharnement dans le travail. Le hip-hop a été mon meilleur professeur.

Après le break-dance, que vous avez enseigné quelque temps, vous êtes passé à la musique au sein de Sens Unik. Comment la transition s’est-elle effectuée?

Tout naturellement. J’ai d’abord écrit quelques rimes pour épater mes potes puis, avec Just One et Rade, nous avons créé le groupe Sens Unik. C’était en 1990. On enregistrait nos bandes Revox dans les studios de Couleur 3 au milieu de la nuit. On n’avait pas le droit d’être là, mais «Just» travaillait à la programmation et on pouvait donc rentrer incognito…

Après d’innombrables concerts, de nombreux disques, des récompenses, vous vous tournez vers le cinéma. Est-ce parce que vous vous lassez des choses une fois qu’elles deviennent faciles?

Non, mais j’essaie de me lancer régulièrement des défis. Il y a une chanson de Brel qui dit: «Serait-il impossible de vivre debout?» Je ne veux pas m’asseoir à 30 ans et voir ma vie défiler comme un triste sitcom. C’est une question de choix. Ce qui ne m’empêche pas de respecter les gens qui sont d’un naturel plus calme.

Vous faites vos premiers pas de comédien au théâtre sous la direction de Gianni Schneider dans une pièce de Pedro Almodovar intitulée «La Vénus des lavabos». Comment se fait-il que le metteur en scène ait pensé à vous alors qu’il possédait déjà une troupe de professionnels?

Je connaissais Gianni pour avoir vu quelques-unes de ses mises en scène et je lui avais demandé de penser à moi à l’occasion. A l’époque, je ne connaissais rien des techniques de comédien. Je pense qu’il a fait confiance à l’homme de scène que j’étais et non pas à l’acteur. Je lui en suis très reconnaissant.

Vous êtes ensuite allé à Paris pour suivre une formation. Pourquoi ne pas avoir continué à jouer en autodidacte?

J’ai pris la décision d’aller suivre des cours à Paris lorsque Gianni Schneider a refusé que je joue un des personnages principaux d’une autre pièce qu’il montait. Il m’avait dit: «Tu n’es pas prêt pour jouer un tel personnage.» Il avait raison.

Mais vous vous tournez vers le septième art plutôt que le théâtre. Pourquoi cette préférence?

Comme tous les gens de ma génération, j’ai grandi avec le cinéma: Belmondo, Trintignant, Al Pacino, De Niro… Avec le groupe Sens Unik, j’ai eu souvent l’occasion de me retrouver face à une caméra et je suis fasciné par le vocabulaire de l’image. Bien utilisées, les images peuvent devenir de sublimes poèmes, et mal utilisées de véritables bombes à retardement.

Encore une fois, vous ne vous contentez pas de jouer. Vous passez aussi derrière la caméra.

Joe Kelly (comédienne irlando-belge, ndlr) et moi avons créé un collectif qui s’appelle «Les danseurs sénégalais» et qui a pour but de créer des courts métrages avec peu d’argent mais beaucoup d’énergie. Ce projet nous permet de pratiquer le jeu mais aussi l’écriture de scénarios, la mise en scène et le montage. C’est un très bon apprentissage. On a déjà réalisé six courts métrages et, si le temps nous le permet, on essaiera de se diriger vers des projets plus importants.

Danseur, chanteur, acteur, metteur en scène… Le terme anglais de «performer» vous convient-il?

N’exagérons pas. Je crois surtout qu’il faut avoir en main le plus d’outils possible. Mon prochain projet est un film allemand dans lequel je dois danser du disco. Merci donc à mon professeur d’allemand pour m’avoir mis la pression et merci au hip-hop pour la danse! Si demain on me demande de jouer un forgeron, je devrais m’y conformer. C’est aussi là tout l’intérêt de ce métier: tout est possible et il faut rester curieux, toujours!

Où et comment vous imaginez-vous dans soixante ans?

Dans le jardin d’une maison en Provence avec un bon bouquin, un bon verre de rouge, une famille nombreuse à mes côtés et mes potes qui jouent à la pétanque.

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Bio express

Fils d’immigrés espagnols, Carlos Leal naît en Suisse en 1969 et grandit à Lausanne. Dès l’âge de 14 ans, il s’intéresse à la culture hip-hop et deviendra l’un des danseurs reconnus de sa génération.

En 1990, il fonde avec ses amis «Just One» et «Rade» le groupe de rap Sens Unik. Dès la sortie du premier disque, le groupe connaît un immense succès. En quinze ans, ils réalisent neuf albums, dont quatre deviennent disques d’or. Sens Unik se produit dans le monde entier et joue avec les plus grands: Pee Wee Ellis, George Duke, Steve Coleman, Fantastischen 4, MC Solaar, Jazzmattaz, Public Enemy ou encore Incognito.

Cette carrière fulgurante, et unique pour un groupe de rap suisse, permet à Carlos Leal de participer aux tournages d’une quinzaine de clips qui lui donnent le goût du jeu d’acteur. En 2000, le metteur en scène Gianni Schneider lui propose de jouer dans une pièce écrite par Pedro Almodovar, «La Vénus des lavabos».

En 2001, il s’installe à Paris pour apprendre à jouer la comédie et suit plusieurs formations à la fois. Il se lance dans des projets indépendants tout en continuant à mener en parallèle sa carrière de chanteur. Carlos Leal enchaîne les séries télévisées et les longs métrages. Avec l’actrice irlando-belge Joe Kelly, il crée le collectif «Les danseurs sénégalais» qui regroupe plusieurs acteurs, auteurs et réalisateurs. Son jeu d’acteur est récompensé par différentes distinctions, dont celle du meilleur acteur au prix du cinéma suisse en 2006.