CULTURE

Une nouvelle filière pour les cinéastes

Les apprentis réalisateurs seront désormais obligés de circuler dans l’ensemble du pays, afin d’acquérir la meilleure formation possible. Une bonne nouvelle de plus pour le cinéma suisse.

Une nouvelle formation en cinéma s’ouvre aux étudiants suisses à la rentrée d’octobre. Sous la forme de deux masters («réalisation» et «histoire et théorie du cinéma»), elle vise à mettre en réseau les compétences offertes par les différentes universités et HES du pays.

Fruit de cinq ans de négociations et de recherche de fonds, cette nouvelle filière — nommée Réseau Cinéma CH — comptera 83 étudiants pour sa première volée cet automne.

Les formations de base seront dispensées par l’une ou l’autre des quatre maisons mères: les Universités de Lausanne et de Zurich (pour l’histoire et la théorie du cinéma), ainsi que les écoles d’art de ces deux villes (spécialisées dans la réalisation et l’écriture de scénario). Mais au lieu de suivre un cursus unique dans une seule institution, comme c’était le cas jusqu’ici, les étudiants pourront voyager dans toute la Suisse afin de se perfectionner.

Ils seront même tenus de suivre des cours à option dans au moins deux autres institutions partenaires du projet. De Lausanne à Zurich en passant par Bâle, Lucerne ou encore le Tessin, ils recevront ainsi la formation la plus complète possible, combinant théorie et pratique en fonction de ce que chaque établissement a à offrir.

Le son et le montage seront ainsi enseignés à l’Ecal, alors que l’image s’étudiera à l’Ecole supérieure de la conception et de l »art de Zurich (HGKZ). La cinémathèque suisse proposera quant à elle l’option «archives et restauration», l’Université de Bâle l’option «technologie» en mettant l’accent sur les techniques de numérisation de l’image et du son.

Quant à l’Université de Suisse italienne, elle se consacrera aux problématiques liées à l’économie du cinéma. Enfin, l’Ecole supérieure de la conception et de l’art de Lucerne (HGKL) proposera une option «postproduction», et l’Ecole universitaire professionnelle de Suisse italienne (SUPSI) une spécialisation en steadycam.

De plus, certains étudiants pourront effectuer des stages à la Télévision Suisse Romande, dans des entreprises de production alémaniques et aux festivals de Locarno, Nyon et Soleure. Le nombre de places y sera toutefois limité et fait encore l’objet de tractations.

Les nouveaux masters permettront donc aux étudiants suisses en cinéma d’acquérir le meilleur des compétences disponibles dans le pays et de se confronter à la réalité multiculturelle de la Suisse, tout en étoffant leur carnet d’adresses grâce aux opportunités de rencontres favorisées par le réseau.

Voilà déjà cinq ans que l’Ecal et l’Université de Lausanne, les initiateurs du projet, travaillent sans relâche à la mise en place de ces nouveaux masters, notamment à la recherche de fonds, au développement des idées et à la définition des cours proposés par chaque institut partenaire.

«Cela a nécessité un travail gigantesque, notamment de la part de la Suisse alémanique, qui s’est montrée très attentionnée envers la Suisse romande et la Suisse italienne afin de réussir à faire front commun», explique le réalisateur Lionel Baier, qui dirige la section cinéma à l’Ecal, très investi dans le projet. Par ailleurs, les initiateurs ont dû tenir compte du rapprochement des écoles d’art de Genève et Lausanne au sein de la HES de Suisse occidentale.

Grâce à cette nouvelle filière, le cinéma suisse devrait poursuivre sa mue, entamée il y a quelques années avec les réformes entreprises au niveau de la Confédération. Un élan renforcé par l’arrivée de Nicolas Bideau à l’Office Fédéral de la Culture et la nomination de Frédéric Maire comme directeur artistique du Festival de Locarno.

En favorisant ainsi la circulation des étudiants et le contact entre les différentes régions linguistiques, les nouveaux masters devraient aussi faciliter la circulation des oeuvres à l’intérieur du pays. Un succès des deux côtés de la Sarine n’est pas chose impossible, comme l’a montré le phénomène « Grounding » au printemps passé (plus de 300’000 spectateurs en Suisse alémanique, et plus de 50’000 en Suisse romande).

«Si nos productions parviennent à franchir les barrières linguistiques, ce sera tout bénéfice, car elles toucheront directement un public de sept millions de personnes», dit Nicolas Bideau. De telles productions auraient aussi l’avantage d’être mieux préparées pour l’exportation.

Cela faisait longtemps que les apprentis cinéastes suisses n’avaient plus senti un vent aussi favorable. Outre le succès public de « Grounding », et de « Mon nom est Eugen » du même Michael Steiner, le cinéma suisse a pu s’enorgueillir cette année du Léopard d’or attribué à Locarno à la cinéaste Andrea Staka pour son film « Das Fraülein » (actuellement sur les écrans romands), et en Suisse romande, du succès critique de « Fragile », premier long métrage de Laurent Nègre sorti l’hiver dernier.

Enfin, des réalisateurs comme Jean-Stéphane Bron et Lionel Baier ont su susciter une réelle attente avec leurs nouveaux films, qui sortent ces prochains jours: « Mon frère se marie » ce 4 octobre et « Comme des voleurs » le 15 novembre.

Le projet Réseau Cinéma CH, qui inaugure ses filières le 19 octobre au château de la Sarraz, devrait permettre aux futurs cinéastes de poursuivre sur cette lancée. A terme, le nouveau dispositif pourrait aussi déboucher sur la création d’un véritable institut suisse du cinéma. Même si, pour l’instant, l’idée ne fait pas l’unanimité.

«Je serais contre la création d’un lieu unique pour l’enseignement du cinéma, explique Lionel Baier. Ce serait une erreur, car on y perdrait notre spécificité de Suisse plurilingue.»