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Kosovars et minarets, un débat piégé sur l’intégration

Le 18 septembre verra l’ouverture de la session parlementaire d’automne, délocalisée à Flims dans les Grisons. Un séjour qui s’annonce inoubliable pour nos amis les conseillers, qu’ils soient fédéraux, nationaux ou «aux Etats»: séances écourtées au profit de ballades culturelles ou sportives, palace cinq étoiles: le Park Hotel Waldhaus, doté d’un temple wellness et même d’un étang biologique avec poissons japonais.

D’accord, il n’y aura pas de la place pour tout le monde, les palaces cinq étoiles semblant compter moins de chambres que de députés aux Chambres. Seul en fait le groupe radical a réussi à s’y loger presque au complet. De quoi rafraîchir certains vieux slogans — «du cran, du coeur, du luxe» ou encore «moins d’Etat, plus d’étoiles».

Bref, voilà les représentants du peuple placés dans des conditions idéales pour traiter, en passant, des quelques broutilles prévues: la réorganisation de l’armée, le programme d’armement (1,5 milliards, des peanuts, on vous dit), l’habituelle initiative populaire de l’UDC; cette fois les gentils blochériens se proposent de faire baisser les primes d’assurance maladie. A force d’invoquer Saint Christoph, réussiront-ils à faire croire au Père-Noël?

Un doigt d’Europe figure également au menu, avec un rapport du Conseil fédéral, dont on pressent déjà qu’il sera pétillant d’audace. Entre deux ballades bucoliques et trois plongeons dans l’étang japonais, mesdames et messieurs les parlementaires feront tourner à plein la machine à bitume: 3 milliards de plus pour les autoroutes. Ce qui placera sans doute ce petit monde requinqué d’air pur en pole-position idéale pour trancher une bruyante et vieille question: faut-il lever l’interdiction de la Formule 1 en Suisse?

Enfin lors d’une séance qu’on verrait bien s’achever au bar ou dans les caves du Waldhaus, on évoquera la perspective d’une taxation de la bière.

Tiens, rien, curieusement, sur la politique d’intégration. Rhäzüns pourtant n’est pas loin de Flims. C’est en tout cas aussi dans les Grisons, à 30 minutes de bus.

Rhäzüns connu jusqu’ici pour son excellente eau minérale et depuis quelques jours pour ses jeunes agresseurs kosovars. Le drame de cette fillette de 5 ans, violée par deux Albanais du Kosovo âgés de 11 et 13 ans, rallume un des débats les plus piégés qui soit, celui de l’intégration. Une notion bien floue que chacun manie comme un bâton de dynamite.

Une curieuse attitude consiste, par exemple, sous prétexte de ne pas envenimer le débat, à cacher le problème sous le tapis. A faire comme si les Kosovars n’étaient pas des Kosovars, et donc comme s’ils n’existaient pas. C’est ainsi que le quotidien «24 Heures» a choisi «Pierre» et «Robert» comme prénoms fictifs pour désigner les violeurs kosovars de Rhäzuns.

D’autres préfèrent renverser cette question de l’intégration; le problème ne vient pas des musulmans qui peineraient à s’intégrer dans un système de valeurs si différent du leur, mais des Suisses qui peineraient à les accepter. C’est la voie choisie par la Commission fédérale contre le racisme qui estime que les musulmans sont victimes de discriminations systématiques en Suisse et prône un assouplissement des règlements de construction pour faciliter l’érection de minarets ainsi qu’une adaptation de la scolarité à la réalité multireligieuse.

Or les minarets ne sont pas une urgence ni une priorité, Tariq Ramadan en personne le dit: «Il suffit d’un espace de prières orienté vers La Mecque pour que le lieu soit considéré comme une mosquée. Ni le minaret, ni l’appel à la prière ne sont indispensables».

Cette marche forcée vers l’autre est sans doute une excellente façon de conforter une population méfiante, réticente, dans ses préjugés et sa méconnaissance et pour laquelle musulman signifie terroriste et kosovar une foule de choses guère plus enthousiasmantes: trafiquant de drogues, importateur de barbies vivantes venues de l’Est, voleur de voiture mais mauvais conducteur ou patron de bistrot cogneur, comme à Bex — mais là, l’indignation fut moindre, la victime était un requérant d’asile africain.

Il y a aussi, bien frileuse, l’attitude des représentants de la communauté albanaise qui affirment, comme Lida Malaj, vice-présidente de l’Université populaire albanaise de Genève, que les viols de Rhäzüns n’ont rien à voir avec la nationalité de leurs auteurs, mais qu’il s’agit purement d’un «phénomène de société». Là encore , évacuation rapide du malaise.

Il y a enfin l’UDC, Blocher en tête, pressentant avec gourmandise les pluies de bulletins dans les urnes nationalistes, pour dire tranquillement, avec la satisfaction béate d’avoir toujours eu raison avant tout le monde et contre tout le monde: «Vous voyez bien, ils étaient kosovars».

Toutes ces réactions à fleur de peau semblent oublier que toute intégration suppose, par définition, deux partenaires, deux efforts réels, deux bonnes volontés actives. Et que si l’intégration des 200’000 Kosovars vivant en Suisse paraît ne pas aller de soi, c’est peut-être en raison d’un désintérêt mutuel affiché, d’un dédain revendiqué, des deux côtés, pour l’autre, d’une complaisance partagée à mariner dans sa propre culture et sa vision étriquée du monde. C’est d’ailleurs à peu près, jusqu’ici, tout que nous partageons avec les albanais du Kosovo.

C’est le moment de rappeler pourquoi le parlement s’est délocalisé à Flims, le temps d’un automne. Après avoir siégé en terre tessinoise à Lugano, puis dans la Genève francophone, les Chambres fédérales sont venues, chez les Romanches, saluer une quatrième culture nationale.