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Les «backpackers» arrivent en Suisse

Assise sur la terrasse du Riviera Lodge, Elisha, 23 ans, avale un verre d’eau. Le trajet depuis la gare de Vevey, avec son gros sac à dos, l’a épuisée. C’est la deuxième fois que la jeune Américaine vient en Suisse.

La première, elle rendait visite à sa cousine, jeune fille au pair à Lucerne. Cette fois, elle est venue seule sur la Riviera lémanique, car elle est «tombée amoureuse de ce coin de pays».

Non loin de là, Liu, 28 ans, se prépare à manger dans la cuisine de cette auberge de jeunesse des bords du Léman. Il passe sept jours en Suisse, entre Interlaken, Vevey, Arosa et Genève, avant de rentrer en Chine après une année d’études à Londres. «Je préfère les petites villes suisses aux grandes cités. Et j’ai adoré Interlaken!» s’enthousiasme-t-il.

Elisha et Liu sont tous deux des «backpackers» (porteurs de sac à dos), et ils ont choisi la Suisse comme destination. Un phénomène tout à fait nouveau. Traditionnellement, les routards préféraient en effet éviter le pays en raison de sa cherté et du manque d’offre de logement et d’activités qui leur étaient spécifiquement destinés.

Mais, en cet été 2006, ils sont venus en nombre. Depuis le début de l’année, l’Association suisse des auberges de jeunesse (ASAJ) a enregistré une hausse de 3,5% des nuitées par rapport à la même période de l’année précédente, alors qu’elle avait déjà réalisé «le meilleur exercice de son histoire» en 2005. De même, l’association Swiss Backpackers, qui regroupe les autres logements bon marché, a connu une augmentation de 10% des nuitées en 2005.

Raison de cet engouement: on a commencé à s’intéresser à ce type de tourisme et à se donner les moyens de l’attirer. «Pendant longtemps, les hôteliers et responsables touristiques avaient fait preuve d’un certain mépris face à ces jeunes, note Francis Scherly, qui a dirigé une étude sur les backpackers pour l’Unité d’enseignement et de recherche en tourisme (UERT) de l’Université de Lausanne. Mais aujourd’hui on commence à prendre conscience qu’un backpacker est un touriste de luxe ou d’affaires en puissance.»

Et de raconter une anecdote significative: «Un homme est arrivé dans une grosse voiture allemande devant l’auberge de jeunesse de Gryon pour saluer le propriétaire. Il y avait séjourné douze ans auparavant et revenait en Suisse pour acquérir un chalet à Villars.»

Chez Suisse Tourisme, on confirme: «Les backpackers constituent un créneau intéressant. S’ils gardent un souvenir agréable de la Suisse, ils reviendront plus tard en famille et avec davantage de moyens», relève la porte-parole Véronique Kanel.

Le tout nouveau président de Genève Tourisme, Jean-Pierre Jobin, a d’ailleurs annoncé son intention de «casser l’image de Genève ville chère» en développant une offre de tourisme low-cost, à l’image des vols à bon marché qu’il a promus lorsqu’il dirigeait l’Aéroport de Cointrin.

Mais pour attirer ces jeunes en Suisse, encore faut-il leur fournir des prestations adaptées à leurs besoins et envies. Les backpackers ne sont en effet pas des touristes comme les autres.

Selon l’UERT, le routard type en Suisse est âgé de 26 ans, vient d’un pays anglophone (plus d’un tiers de Nord-Américains), est étudiant, voyage en compagnie d’un groupe d’amis, séjourne une quinzaine de jours en Suisse, voyage en train et dépense en moyenne 90 francs par jour, dont 35 pour l’hébergement.

Bertrand Kohli, le gérant du Swiss Alps Retreat Hostel de Gryon, précise que les backpackers recherchent «un logement et une nourriture bon marché, préférant dépenser leur argent pour des activités sportives ou culturelles». Ils privilégient en outre un tourisme «mode de vie» et les sports extrêmes, loin des traditionnelles attractions.

Une balade à vélo dans le vignoble de Lavaux, une baignade dans l’Aar à Berne, une nuit de clubbing à Zurich ou encore une journée de rafting près d’Interlaken figurent ainsi en tête des «choses à ne pas manquer» dans le Lonely Planet sur la Suisse.

Les auberges de jeunesse regroupées au sein de Swiss Backpackers l’ont bien compris et ont mis sur pied des offres spéciales comprenant le logement et des activités sportives ou culturelles, «à l’image de ce qui se fait en Australie ou en Nouvelle-Zélande», dit Véronique Kanel.

Le Villa Sonnenhof à Interlaken propose ainsi des «packages» avec abonnement de ski, bus jusqu’en station, habits et équipement de ski. En été, il organise des journées de canyoning, rafting, parapente, VTT ou wakeboard. Plus loufoque, il propose à ses résidents de tenter le «zorbing»: une descente de colline dans une grosse boule transparente…

A Gryon, Bertrand Kohli emmène ses hôtes faire des dégustations de vin valaisan ou passer deux jours en montagne. François Commend, le gérant du Riviera Lodge de Vevey, a quant à lui mis sur pied une offre «chocolat» comprenant deux nuitées, la visite d’un chocolatier et une dégustation de fondue au chocolat. D’autres ont investi le segment du backpacking de luxe, comme l’hôtel Cube à Savognin (GR) ou Bunker à Verbier, deux auberges à l’architecture futuriste.

Autre phénomène qui a dopé la présence des backpackers en Suisse: l’effet easyJet. «La Suisse peut désormais être atteinte en une heure et demie depuis Barcelone, Londres ou Amsterdam pour un prix modeste», relève François Commend du Riviera Lodge.

De nombreux routards ont ainsi modifié leur façon de visiter l’Europe, voyageant par sauts de puce — entre la Grande-Bretagne, la Suisse et l’Italie par exemple — au gré des offres des compagnies low-cost, relève Catherin Quirin, de Swiss Backpackers.

Ce mode de transport est notamment privilégié par les Asiatiques (Indiens, Corées et Chinois), car ils effectuent en général des séjours courts. Ils sont donc arrivés en masse dans les auberges helvétiques. «Tous les trois mois j’enregistre une progression à deux chiffres des résidants chinois, dit Bernard Commend. Ils représentent maintenant 20% de mes hôtes.»

Face à ces évolutions, le traditionnel argument de la cherté du pays ne pèse pas lourd. D’autant plus que les backpackers trouvent le moyen de le contourner.

«Ils sont débrouillards et extrêmement bien informés. Ils n’ont aucune peine à trouver les meilleures offres sur internet ou grâce au bouche à oreille», relève Francis Scherly.

«La Suisse a encore une image de pays cher auprès des routards, mais le prix du lit (dès 33 francs en dortoir) avoisine en fait celui pratiqué en Espagne ou en Italie», souligne pour sa part Catherin Quirin de Swiss Backpackers. Le Guide du Routard encore va plus loin: «Ce qui était encore impensable il y a quelques années est devenu indispensable, il faut marchander. On obtient des rabais substantiels ainsi.» La Suisse pourrait donc bien devenir, à l’avenir, une destination «routarde» prisée.