Les universités de Genève et Lausanne voient s’effondrer le nombre d’inscriptions en allemand. Un danger pour la cohésion nationale? Pas forcément.
Les professeurs d’allemand de l’Université de Genève commencent à s’inquiéter. «Il y a une diminution nette des étudiants en allemand sur le long terme», observe Kirsten Adamzik, directrice du département.
Après être longtemps resté relativement stable — une petite centaine de nouveaux venus chaque année — le nombre d’inscriptions n’a cessé de baisser depuis cinq ans. «En 2003, les étudiants nouvellement inscrits étaient 84. En 2005, ils n’étaient plus que 41», indique Kirsten Adamzik.
A Lausanne, la situation, bien que moins alarmante, n’est pas rassurante non plus: une cinquantaine de nouveaux arrivants en 2005, contre une moyenne de 65 entre 2001 et 2004. A cela s’ajoute le fait que bon nombre de ces étudiants viennent de Suisse alémanique. «Dans les années 1990, la réunification avait remis l’allemand à la mode, dit Peter Utz, professeur d’allemand à Lausanne. Mais cela s’est tassé, et nous ne participons plus à la croissance générale.»
Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette désaffection. «Au niveau gymnasial, l’allemand est de moins en moins appuyé par d’autres langues grammaticalement proches, comme le latin ou le grec qui possèdent également des cas», avance Peter Utz. Résultat: les étudiants ont l’impression qu’ils ne maîtriseront jamais toutes les subtilités de la langue de Goethe, et s’en détournent une fois leur maturité en poche. Comme on peut s’y attendre, nombreux sont ceux qui lui préfèrent l’anglais, réputé plus facile – et surtout plus utile à l’heure de la globalisation.
«Je trouve désolant que l’allemand ait si mauvaise presse, poursuit Peter Utz. D’ailleurs, il faut tordre le cou à la rumeur selon laquelle seuls les germanophones peuvent suivre des études d’allemand. Il faudrait également réhabiliter la maturité bilingue, qui ne connaît pas le succès qu’elle devrait, malgré le fait qu’elle est parfaitement adaptée à des candidats francophones.»
La Suisse romande n’est pourtant pas la seule région touchée par ce désamour. «C’est un phénomène que l’on constate dans toute l’Europe», regrette Kirsten Admazik.
Il n’empêche qu’en Suisse, la question de l’enseignement des langues trouve une résonance toute particulière, en raison de ses implications politiques. Et, justement, on observe un phénomène symétrique de l’autre côté de la Sarine. «L’apprentissage du français en tant que première langue étrangère recule en Suisse alémanique, ce qui est peut-être plus inquiétant encore», estime Peter Utz.
Pour l’historien Hans-Ulrich Jost, parfait bilingue et à cheval entre les deux cultures, cette évolution n’a rien de surprenant. «L’histoire des différentes communautés linguistiques en Suisse est pleine de mystifications, dit-il. La première est de s’imaginer que la Suisse serait plurilingue, ce qui en grande majorité est faux.
L’allemand n’a jamais eu de place importante en Romandie. Moi-même, en tant que Suisse allemand, je pensais en arrivant ici que la plupart des Romands parleraient allemand: j’ai rapidement déchanté. C’est le fait d’avoir vécu aussi longtemps sur ce mythe qui crée aujourd’hui cet effritement, le décalage décevant entre fantasme et réalité.»
Un danger pour la cohésion du pays? Hans-Ulrich Jost ne croit pas que, en Suisse, la question des langues soit fermement liée à l’unité nationale. «Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, le sentiment nationaliste était officiellement valorisé, et le plurilinguisme était l’un de ses arguments. Mais aujourd’hui, l’espace référentiel des Suisses n’a plus grand- chose à voir avec l’idée de nation. Celle-ci s’exprimerait plutôt sous forme régionale, comme on a pu le voir récemment avec l’annonce de la création d’une métropole zurichoise. Ce décalage est donc inévitable, selon moi.»
L’avenir dans la dissolution? Comment, dans ce cas, éviter le repli des régions? «En fait de collaboration, je verrais plutôt la Romandie s’ouvrir vers la France voisine, Annecy, Lyon, etc., si nous ne voulons pas devenir une banlieue de Zurich, poursuit Hans-Ulrich Jost. Une ouverture qui à moyen ou long terme signifierait une dissolution de la Suisse telle que nous la connaissons. Après tout, pourquoi pas?»
Mais on n’en n’est pas encore là, et pour l’instant, la question en appelle d’autres, notamment au niveau du secondaire. Si l’université produit de moins en moins de germanistes, le nombre de candidats pour les postes de professeurs d’allemand va diminuer, et la qualité de l’enseignement de cette langue également. Comment dit-on «cercle vicieux» en allemand?
