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Darbellay, le polychrome qui avance à pas de géant

Il l’avait juré, un certain jour de mars 1998, en montrant le balcon de l’hôtel de ville à Martigny, où paradait le nouveau Conseiller fédéral Pascal Couchepin: «Moi, il ne me faudra pas vingt ans pour arriver là-haut».

Huit ans plus tard, le conseiller national valaisan Christophe Darbellay a déjà fait un gros bout de chemin. Le renoncement, pour cause d’incompatibilité professionnelle, de la saint-galloise Lucrezia Meier-Schatz, lui ouvre grande la porte de la présidence du PDC suisse, laissée vacante par Doris Leuthard. Moins par enthousiasme général que par cruelle absence de concurrence.

Après avoir siégé trois petites années, seulement, sous la coupole, l’immense Darbellay — il flirte avec le double-mètre — s’est fait, déjà, une liste d’ennemis elle aussi assez longue. Parmi lesquels, certes, pas mal de jaloux qui trouvent que décidément, ce gendre-idéal-pas-encore-marié-mais-ça-ne-saurait-tarder, à la tête qui dépasse désagréablement dans tous les sens du terme, est décidemment un peu trop beau.

Et pas que beau: intelligent, le verbe facile, bilingue, Arena-compatible, sportif et sans doute bon avec les animaux — n’est-il pas directeur de la société suisse des vétérinaires? Enfin, pas avec tous les animaux: puisque c’est électoralement payant dans ce Valais qui l’envoie à Berne, Saint Christophe s’est subitement pris de passion pour la chasse et a fini par passer son permis.

Lui-même affirme qu’il a presque fallu enchaîner un chamois à un piquet pour qu’il réussisse son examen de tir.

Toujours est-il que l’homme aux mille cousins donne pas mal de munitions à ses adversaires. D’abord un «medialcoolisme» grave, presque inouï, au pays des politiciens taiseux et timides. Darbellay pose et se surexpose, pour un oui, pour un non, cadavre de chamois sur l’épaule s’il le faut, possède un avis –généralement tranché et qu’il oublie le lendemain — sur tout et sur rien et aime le faire savoir.

Très disponible, sur la brèche 24 heures sur 24, et donc très sollicité par des journalistes qui savent qu’ils auront droit chaque fois à un joli numéro de voltige. Darbellay, c’est du garanti, du tout cuit, du cousu main — sauf la bouche. Une sorte de Freysinger de centre-gauche en somme.

Centre gauche, ou plutôt chrétien-social, voilà l’autre grand reproche qui lui est fait. C’est au sein du petit parti chrétien-social dissident qu’il a fait ses premiers pas politiques avant de rentrer dans les rangs du grand PDC, carrière oblige. C’est aussi sur cette ligne chrétienne-sociale, qui octroie automatiquement un certificat de belle âme, qu’il s’est fait élire, contre la ligne conservatrice de la section cantonale.

Or cette sensibilité de centre-gauche ne serait plus jamais ressortie du fond de l’attaché-case de Christophe Darbellay depuis qu’il s’est assis sur les travées du Conseil national. On l’accuse ainsi de voter avec le vent, sans aucune conviction véritable et de ne se déterminer qu’en fonction de considérations de tactique politicienne.

Dame, moins de vingt ans pour devenir conseiller fédéral c’est un peu serré, et il convient donc de ne rater aucun wagon. Une vieille gloire du PDC valaisan, après une longue recherche dans le dictionnaire, a trouvé l’épithète qui conviendrait pour définir l’animal (politique) Darbellay: polychromique. Un caméléon, quoi.

Le dernier procès en polychromie est tout chaud brûlant: contrairement à l’aile chrétienne-sociale de son parti, le grand Christophe a, lui, voté les «lex Blocher» qui durcissent la politique d’asile. «Sans problème de conscience», explique-t-il dans le Matin (version orange puisque là aussi il y a désormais polychromie) et en estimant que «les avantages primaient sur les inconvénients».

Oui donc à Blocher, sans problème de conscience, mais, ajoute-t-il, peut-être pour ne pas trop écorner son image de bon type éclairé et progressiste, seulement «du bout des lèvres». Et en étant «conscient» que la nouvelle législation « est à la limite du respect de nos engagements internationaux».

Pas de souci pourtant: «Si la Suisse devait se faire taper sur les doigts, il faudrait alors modifier la loi.» Bref, le caméléon valaisan n’est pas que polychromique, c’est aussi une créature à sang très froid.

Celui qu’il faut pour gober les mouches, avaler les couleuvres et sauter, vite, sur les balcons les plus vertigineux.