On ne peut pas dire que les instituts HEI et IUED ont précipité leur fusion. Cela fait plusieurs années qu’ils étudient les moindres détails de ce rapprochement, de manière à ne froisser aucune susceptibilité.
Cette approche laborieuse s’est finalement avérée payante puisque les deux partenaires ont obtenu un budget de 100 millions pour créer à Genève un véritable pôle en compétences internationales nommé IHEID.
Le problème, c’est que ces vénérables institutions n’ont pas remarqué qu’à quelques centaines de mètres de chez elles, une autre filière de formation internationale était en train de voir le jour. Et pas des moindres puisqu’il s’agit de l’une des plus célèbres adresses de la scène globale, le World Economic Forum, dont le siège est à Cologny.
Depuis quelques mois, l’organisateur du Forum de Davos propose en effet sa propre formation en relations internationales. «C’est un très bon programme, qui se place au niveau mondial et qui peut représenter une certaine concurrence pour nous», reconnaît Francis Waldvogel, modérateur du futur IHEID. Mais voilà: pendant le long processus de rapprochement, personne au sein des deux instituts n’a pris la peine de s’intéresser à cet outsider.
«Il n’y a pas eu de prise de contact avec le WEF», indique Michel Carton, directeur de l’IUED. «J’avais vaguement entendu parler de leur formation internationale, mais sans plus», déclare pour sa part Peter Tschopp, ancien directeur de HEI.
Les deux instituts auraient-ils complètement raté le train? Contacté, le directeur du futur IHEID, Philippe Burrin, n’a pas souhaité s’exprimer sur la question.
On aurait pourtant pu imaginer une collaboration étroite entre les filières privée et publique. En s’associant au programme du WEF, la future entité IHEID aurait pu bénéficier d’une résonance mondiale et d’un carnet d’adresses de tout premier choix. Mais les contingences universitaires genevoises en ont décidé autrement.
Les synergies semblaient naturelles puisque Klaus Schwab, directeur du WEF, a siégé dans le Conseil de fondation de HEI. L’homme a d’ailleurs envisagé une collaboration, mais finalement, la situation instable des deux instituts publics l’a dissuadé d’aller plus loin. «Il était difficile de s’allier avec des institutions en pleine transformation, à la recherche de leur propre identité, explique-t-il. C’est pourquoi, avant de lancer mon programme, j’ai décidé de donner ma démission du Conseil de fondation de HEI, afin d’éviter tout conflit d’intérêts.»
Résultat: la rade de Genève va se retrouver avec deux filières d’études internationales concurrentes. Rive gauche, celle du WEF bénéficie déjà d’alliances prometteuses, notamment avec Harvard, la London Business School et l’Insead (une collaboration avec l’IMD est aussi envisagée). Elle jouit en outre d’un fort pouvoir d’attraction, puisque, malgré sa faible notoriété sur la place genevoise, près de 1800 candidats se sont déjà pressés à ses portes, pour seulement 46 places.
Rive droite, l’attrait est plus modeste. Malgré leur réputation dans la région, HEI et l’IUED n’ont attiré qu’environ 700 candidats chacun l’an dernier avec leurs masters respectifs, pour respectivement 200 et 80 places.
Le patron du WEF n’exclut pas des synergies futures avec les deux instituts universitaires, «mais cela dépendra de la qualité de leur enseignement», souligne-t-il. Du côté de HEI et de l’IUED, on se déclare ouvert à tout échange. Mais on n’a pas jugé nécessaire d’initier quoi que ce soit jusqu’ici.
Comment le WEF en est-il venu à créer sa propre filière de formation ? «Nous avons créé ce programme car nous ne trouvions pas les personnes dont nous avions besoin sur le marché, indique le responsable de la formation du WEF, Michael Obermayer. Les candidats sélectionnés sont formés dans une optique très précise: ils doivent être capables de créer des liens entre le public, le privé et la société civile.»
Bien que reconnu en Suisse, le nouveau master de l’organisateur du Forum de Davos n’est pas encore accrédité. Mais, pour Michael Obermayer, l’important est ailleurs. «Parmi l’énorme quantité de masters qui existent aujourd’hui, c’est le marché qui va faire le tri entre les bons et les mauvais», déclare-t-il.
Intitulé «Global Leadership Fellows», le programme du WEF, qui recevra sa deuxième volée d’étudiants en septembre, a pour ambition de développer «l’esprit de direction» de ses étudiants et, plus généralement, de leur faire «comprendre le monde».
D’une durée de trois ans, il est constitué de 20% de cours et de 80% de travail. Il n’implique aucun frais d’écolage. Les participants signent un contrat pour la durée du programme et reçoivent un salaire dépendant de leurs responsabilités et de leurs qualifications et qui, selon Michael Obermayer, est «nettement suffisant pour vivre».
Le futur IHEID n’aura pas trop de ses 100 millions de budget pour rivaliser avec ce concurrent inattendu.
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La saga d’une fusion délicate
Tout semblait opposer HEI et l’IUED: alors que le premier dispose d’une image libérale et hiérarchisée, le second, estampillé tiers-mondiste, est doté d’une culture plus participative. Le projet de les rassembler n’a donc pas été une mince affaire, tant les deux instituts, jusqu’ici rivaux, semblaient fiers de leur histoire et de leur culture propres.
Depuis le départ de son directeur Alexandre Swoboda en 1998, HEI nage en eaux troubles. Peter Tschopp, accepte de prendre le relais, mais en s’inscrivant dans une logique provisoire. Il quitte son poste en septembre 2002 et ce n’est qu’en juillet 2004 que sera nommé son successeur, l’historien Philippe Burrin. Fondé en 1927, l’institut rentre alors dans une période de calme relatif.
Malgré des résistances et des oppositions émanant des deux parties, l’idée de créer un nouveau pôle en études internationales fait son chemin, même s’il n’est pas encore question de fusion. Créé au début des années 60, l’IUED redoute notamment de perdre sa spécificité et de vivre dans l’ombre de son grand frère.
En avril 2005, le ministre de l’Intérieur Pascal Couchepin et le secrétaire d’Etat à la science et à la recherche Charles Kleiber font savoir que la Confédération pourrait doubler la subvention actuelle aux deux instituts (soit environ 11 millions), à condition que Genève présente un projet capable de lui donner un rayonnement mondial en matière de relations internationales.
Après de longues négociations et alors que le doute avait plané jusqu’au dernier moment sur le succès de l’opération, HEI et l’IUED signent le 7 février dernier le protocole d’accord par lequel ils s’engagent à unir leur destin. Le nouvel institut, baptisé IHEID, devrait être opérationnel dès le 1er janvier 2008.