LATITUDES

Un coupé, oui, mais avec 4 portes

Comment séduire les pères de famille fortunés qui ne veulent pas sacrifier à leur passion pour les voitures de sport? En ajoutant de la place, et des portes, dans des coupés de 400 chevaux. Exemples chez Porsche et Mercedes.

Un dos rond, une silhouette effilée, un arrière fuyant: elle ressemble à un grand tatou. Un peu comme une Citroën DS, mais plus haute, et d’apparence plus sportive et agressive.

Commercialisée l’an dernier, la CLS de Mercedes voulait inaugurer un nouveau genre automobile un peu hybride, appelé «coupé» par la marque malgré ses quatre portes. «Avant, on appelait ce type de voitures des «berlines hatchback», explique Franco Sbarro, célèbre designer automobile basé près d’Yverdon. Mais pour des raisons de marketing, on les baptise désormais «coupé quatre portes», une contradiction dans les termes.»

«C’est le secteur du haut de gamme qui s’intéresse à ce mélange des styles, poursuit Sbarro. Ces véhicules s’adressent aux pères de familles fortunés qui veulent se sentir jeunes et sportifs. Typiquement, l’ancien conducteur de Porsche 911 qui fonde une famille. Il préfère dire qu’il conduit un coupé, connoté sportivement, qu’une berline, avec son image un peu papy.»

Au niveau des mensurations, l’engin n’a pourtant rien d’un coupé sportif: presque 5m de long, l’empattement d’une grosse limousine et deux grosses tonnes à déplacer. C’est donc au niveau de la ligne que le constructeur pense à un coupé, bien plus que dans le comportement. «Faire passer une berline pour un coupé, tout le monde essaie, poursuit Franco Sbarro. En fait, Alfa Romeo n’a pas fait autre chose en masquant les poignées de porte de sa 156.»

Les constructeurs haut de gamme cherchent des solutions moins triviales en adaptant le design. Ainsi, l’italien Maserati a ressorti l’an dernier une version de sa mythique Quattroporte. La berline historique, qui date de 1963, se composait d’une structure classique en trois volumes. Pour sa version 2004, le constructeur racheté par Ferrari a conçu un véhicule aux lignes arrondies et divisé en deux volumes, surfant sur la tendance du coupé quatre portes.

«Ce n’est pas un hasard si la Quattroporte a été relancée en 2004, ajoute Franco Sbarro. Car la marque italienne, depuis son rachat par Ferrari en 1997, élargit sa gamme vers des véhicules plus grands, laissant à la firme mère la sportivité pure à deux places.»

La tendance du coupé quatre portes n’a pas échappé à un autre acteur important de l’automobile haut de gamme. Porsche, dopé par le succès de son tout terrain Cayenne, prépare en effet son entrée dans ce segment.

La direction du constructeur automobile de Stuttgart a donné en automne dernier le feu vert au développement et à la production d’une nouvelle ligne: le Panamera. Il s’agit d’un coupé sport avec quatre vraies places, et surtout quatre portes. Le piment Porsche dans une longue voiture racée: le positionnement a été immédiatement salué par les analystes financiers.

Il faut dire que le constructeur a très bien réussi son entrée, pourtant pas évidente à première vue, dans le marché des 4×4. En Suisse cette année, le Cayenne a détrôné la 911 au hit parade de Porsche, et ses ventes ont représenté plus du tiers de celles du constructeur sur le premier semestre.

«Mais le lancement de la nouvelle 911 a remis le véhicule deux places en tête des ventes en Suisse en fin d’année, dit Jolanda Eggenschwiler, porte-parole du constructeur. Cela dit, on achève l’année avec environ 50% des ventes pour la 911, 30% Cayenne et 20% Boxster.»

Au niveau mondial, Porsche anticipe des ventes minimum de 20’000 unités par an pour son Panamera, dont le nom est une abréviation de la course mexicaine légendaire longue distance «Carrera Panamericana». Il sera vraisemblablement produit sur le site de Leipzig, aux côtés du Cayenne et de la mythique Carrera GT.

L’investissement total du Panamera, coûts de développements inclus, s’élève à un milliard d’euros. Ce nouveau modèle sera d’origine allemande à hauteur de 70%.

«Nous développerons notre propre plate-forme pour cette quatrième série de production. Un projet de coopération avec d’autres fabricants automobiles n’est pas prévu. Afin d’assurer la profitabilité de cette nouvelle série, nous travaillerons plus étroitement qu’actuellement avec des sous-traitants», a précisé Wendelin Wiedeking, le chef du groupe, à la presse allemande.

Le constructeur a déjà annoncé que le moteur de la Panamera atteindrait plus de 400 chevaux. Il n’avait pas vraiment le choix.

«Comme Maserati a ouvert les feux avec un moteur de 400 chevaux, les autres se sont adaptés à cette même échelle, s’amuse Franco Sbarro. Car ce genre de client est très enfantin: il paie cher et veut au moins autant de puissance que le véhicule de son voisin.» Mercedes démarre cependant avec des motorisations plus modestes dans sa CLS: un V6 de 272 chevaux. Mais la version 55 AMG atteint le seuil des 400 exigés par cette partie «enfantine» de la clientèle visée.

Limousine présidentielle
Pour Porsche et Maserati, le coupé quatre places permet d’attaquer un nouveau marché que Mercedes connaît bien: celui des «véhicules présidentiels» et autres voitures de fonctions.

«Comme la ligne du coupé descend vite, la fenêtre est très petite à l’arrière, explique le designer. Ainsi, on ne peut pas voir le passager assis, ce qui lui garantit une grande discrétion même si le véhicule n’est pas muni de vitres teintées.»

La Maserati Quattroporte s’est déjà imposée dans les stations balnéaires et les hôtels de luxe, dopée encore par Wallpaper, le magazine de la jet-set branchée et mondialisée, qui en a primé le design dans son édition annuelle consacrée aux plus beaux objets du monde.

Porsche espère aussi que sa Panamera viendra faire crisser le gravier des palais ministériels. Comme la DS le faisait à l’époque.

Citroën n’attendait d’ailleurs pas autre chose de sa nouvelle C6, devenue cette année la voiture officielle de l’Elysée. Au passage, le modèle phare du constructeur français n’échappe pas à la tendance: la C6 entre elle aussi dans la catégorie des coupés quatre portes. Il ne lui manque que les 400 chevaux…