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J’ai été confrontée à un «accident de personne»

Lorsqu’une personne s’est jetée sous un train, les CFF n’annoncent plus un «incident d’exploitation». Ils ont opté pour une formule plus correcte, l’«accident de personne». Comme Geneviève Grimm-Gobat, tout voyageur peut en vivre un. Témoignage.

Un bruit bizarre. Un coup de frein. Le train s’arrête. Livide, le mécanicien sort de sa cabine. Deux à trois longues minutes s’écoulent. Le contrôleur annonce: «Pour cause d’accident de personne, nous allons rester immobilisés pour une durée indéterminée».

Le spectacle commence. Transformée en écran d’un film d’horreur, la fenêtre voit défiler voitures de police, ambulance, badauds et hommes en manteaux noirs. On s’affaire à l’arrière du convoi alors que le dessous de chaque wagon est minutieusement inspecté.

A l’intérieur, les passagers jusqu’ici peu bavards y vont de leurs commentaires: «Comment peut-on se supprimer par une belle journée pareille?»… «Moi je devais absolument prendre la correspondance pour Berne à Zurich. Ma réunion, je peux l’oublier»… «Pour nous ce n’est pas marrant, mais vous avez vu le conducteur, pour lui, c’est encore autre chose»…

Un couple se demande si nous aurons droit à un débriefing à notre arrivée Coire… Enfin, timidement, une jeune femme nous demande que l’on tienne compte de la présence de sa petite fille. Retour au silence dans ce premier wagon du petit train rouge de la ligne St Moritz-Coire.

Je viens de vivre mon premier «accident de personne». Une formule utilisée depuis quelques mois seulement par les CFF et reprise par d’autres compagnies ferroviaires. Jusqu’ici, lorsqu’un train s’immobilisait en rase compagne, on annonçait un «incident d’exploitation». Pourquoi ce changement de vocabulaire?

«Il faut appeler un chat un chat, explique Jacques Zulauff, viagra cialis montreal des CFF pour la Suisse romande. En faisant passer les suicides pour des incidents d’exploitation, nous passions pour des incompétents. Nous devions endosser la responsabilité de pannes qui n’en étaient pas. Et puis, dans la société, on parle aussi plus facilement de ce sujet, d’où notre nouvelle formule. Parler d’«accident» tout court aurait pu trop inquiéter, en faisant craindre un déraillement. «Accident de personne» convient mieux.»

Si en Belgique, près de 200 personnes ont tenté en 2005 de se donner la mort en se jetant sous un train, soit 10 à 15 fois plus qu’en 2004, en Suisse, les chiffres sont demeurés très stables ces dernières années. Soit une centaine de décès par an (pour le réseau CFF uniquement) et une trentaine de tentatives qui se soldent par des amputations ou blessures.

«Je suis conducteur de train et j’ai écrasé un type qui s’étais assis entre les rails, raconte un correspondant de forum. Je peux certifier que taper un corps humain à 140 km/h avec une rame de 400 tonnes, c’est horrible. Tu vois le type à 200 mètres, agenouillé, tu freines en urgence et tu sais qu’il te faut 800 mètres pour t’arrêter. Tu sais qu’il va mourir et tu es simple spectateur. Il te regarde droit dans les yeux, tu gueules dans la cabine de conduite, «c’est pas vrai! le con! barre toi!» et l’impact, il est passé dessous…»

Se jeter sous le train, c’est plonger quantité de personnes dans le cauchemar. Andreas Gross s’en est inquiété devant le Conseil national par le biais d’une question portant sur les conséquences psychologiques chez les pilotes de locomotive et leurs familles.

Lors de leur formation, les mécaniciens abordent le sujet «suicide», précise Jacques Zulauff . Après y avoir été confronté, ils bénéficient d’un soutien psychologique, ce qui n’empêche pas des cas, bien que rares, d’abandon du métier. C’est que le hasard peut transformer certains en véritables collectionneurs, alors que d’autres passent toute une carrière sans avoir à vivre ce traumatisme.

Les usagers du rail le savent. Il n’est pas de semaine qui ne connaisse d’importants retards dus à des accidents de ce genre. Gare de Bienne, mardi dernier. J’attends un train qui arrivera avec du retard pour cause d’«accident de personne». Depuis mon vécu grison, une telle annonce résonne différemment dans ma tête…