KAPITAL

Les écoles de conduite résistent aux pressions

L’obtention du permis de conduire est particulièrement chère en Suisse en comparaison européenne. La révision de la loi sur le marché intérieur n’aura pas d’influence. La Commission de la concurrence n’exclut pas de relancer une enquête.

Si vous trouvez moins cher aux mêmes conditions, nous vous remboursons la différence.» Ce n’est pas une publicité pour une lessive, mais pour des cours de conduite que l’auto-école genevoise de la Servette, quartier populaire de Genève, affiche ainsi depuis bientôt dix ans. A l’origine de cette initiative, un homme détesté de la profession: Gérard Maendly. Ce moniteur genevois avait décidé de jouer les trouble-fête en cassant les tarifs. Aujourd’hui, il affirme être également la plus grande auto-école de Suisse.

Les associations cantonales d’auto-écoles avaient pris l’habitude de s’entendre sur leurs prix, publiés et imposés. «J’ai quitté l’association genevoise car je ne comprenais pas pourquoi chaque moniteur ne pouvait pas fixer ses propres tarifs, raconte Gérard Maendly. Les associations ne cessaient de les augmenter, y compris des cours obligatoires, ce qui m’a semblé scandaleux puisque le candidat n’avait pas le choix. On m’a beaucoup reproché mon attitude dans le milieu, j’ai même reçu des menaces!» La Commission de la concurrence (ComCo) a aussi identifié le problème. Elle est intervenue en 2000 à Fribourg, pour interdire aux associations des écoles de circulation de publier des listes de tarifs sur lesquelles s’alignaient leurs membres. Désormais, il n’y a plus de liste, mais les tarifs paraissent toujours assez semblables dans de nombreux cantons.

La question se pose si la ComCo pourrait agir sur une entente cantonale supposée entre les auto-écoles. «Après notre intervention à Fribourg, nous pensions que l’alignement des prix allait cesser partout, mais nous avons repéré un comportement similaire dans les Grisons deux ans plus tard, constate Thomas Nydegger, directeur du service financier de la Commission. Le problème, c’est qu’il est difficile de démontrer une telle entente lorsque les arrangements se font oralement.»

Plus encore lorsque l’entente est tacite, c’est-à-dire que les acteurs ne voient pas l’avantage à long terme de jouer sur les prix. La ComCo n’exclut pourtant pas de relancer une enquête. «Grâce à la nouvelle loi de 2004, nous pourrions sanctionner immédiatement les associations cantonales, ce qui n’était pas possible à l’époque, poursuit le directeur. Mais la procédure est lourde et prend beaucoup de temps.»

Les risques de sanctions sont minimes et la profession le sait bien. Jean-Pierre Valley, président de l’Association genevoise des auto-écoles et directeur de l’école AEV & Partners, estime qu’il n’y a d’ailleurs aucun motif d’enquête de la part de la ComCo.

«Notre association regroupe moins de 60% des moniteurs. Il est clair que nous recommandons à nos membres de ne pas se livrer à une concurrence sur les prix pour faire du volume, mais sur la qualité, les résultats, l’accueil ou encore la notoriété. Cela dit, chacun peut pratiquer les prix qu’il veut. A part chez Gérard Maendly, qui les a cassés, je dirais que les variations sont de l’ordre de plus ou moins 20%.»

Personne ne semble avoir fait fortune dans les cours de conduite, ni à Genève ni ailleurs, mais les prix moyens sont très différents d’un canton à l’autre. Gérard Maendly peut se féliciter que les cours obligatoires soient aujourd’hui presque trois fois moins chers à Genève que dans le Jura.

Une plus grande concurrence intercantonale permettrait-elle de faire baisser les moyennes? «Elle serait possible, car rien n’empêche aujourd’hui un moniteur de pratiquer son activité dans deux cantons à la fois, répond Thomas Zwald, responsable du marché intérieur à la ComCo. La révision en cours de la loi sur le marché intérieur n’aura pas d’influence sur ce secteur. Dans les faits, les professeurs d’auto-école de toute la Suisse pourraient déjà se faire de la concurrence d’un canton à l’autre.»

Les diplômes et autorisations d’exercer sont reconnus partout. Si rien ne se passe, c’est qu’une activité dépassant le cadre local semble assez difficile à mettre sur pied et à rentabiliser. Il y aura peut-être un jour une formule, une marque, une entreprise d’auto-école opérant sur tout le bassin lémanique, la Suisse romande ou même la Suisse, mais elle ne s’est pas encore profilée.

En premier lieu, il faudrait peut-être que les conditions d’admission et de réussite soient uniformisées. En 2004, 68% des candidats ont réussi leur examen pratique en Valais, contre seulement 51,5% dans le canton de Vaud. Pour expliquer les différences, tous les professionnels (policiers, professeurs, experts et directeur de Service automobile) y vont de leur explication: culture de la conduite, milieu (canton urbain ou rural), connivences supposées entre des experts et certains profs, différence de préparation et d’exigences, proportions d’étrangers, mauvaises préparations, magouilles des statistiques, etc. Une vérité se trouve peut-être dans un mélange de ces interprétations. Mais ce qui semble sûr, c’est que le prix du permis de conduire n’a aucune influence sur la proportion d’accidents, ni sur le taux de réussite.

Nouvelles augmentations à prévoir

Plus les exigences légales augmentent, plus le coût d’un permis risque d’être élevé. A partir du 1er décembre 2005, une nouvelle loi sera introduite: après réussite de l’examen pratique, tout nouveau conducteur se verra attribuer un permis de conduire à l’essai, valable trois ans. Pendant cette période probatoire, il devra suivre deux cours de formation complémentaire d’une journée. Elle a pour but de le sensibiliser aux dangers de la circulation afin qu’il sache éviter les situations à risque. La fréquentation de ces cours sera obligatoire et à la charge du participant. Ils coûteront entre 600 et 800 francs, en fonction de l’organisateur.

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Philip Klaus, responsable de la formation des conducteurs, TCS Genève, commente l’introduction de la nouvelle loi.

Le prix des deux journées de formation complémentaire a-t-il déjà été fixé?

Ce sont les organisateurs de ces cours qui fixeront leurs tarifs. En moyenne, le coût d’une journée de huit heures devrait correspondre à quatre heures de leçons de conduite avec un moniteur. Les prix seront variables, mais je ne pense pas qu’il y ait de véritable dumping tarifaire, car ces cours exigeront des investissements conséquents de la part des organisateurs. C’est-à-dire disposer d’une infrastructure adaptée, rémunérer des animateurs, posséder un équipement adéquat. Au final, la loi du marché déterminera le prix des cours du nouveau permis.

Combien faudra-t-il payer en plus?

Au moins 600 francs pour ces deux journées supplémentaires. Cela peut sembler cher, mais sûrement moins qu’une facture de carrossier, d’hôpital ou la vie d’une personne.

Au lieu d’imposer de nouveaux cours, pourquoi ne pas se montrer plus sévère aux examens, comme le suggèrent certains moniteurs?

L’examen pratique reste une impression instantanée. Avec la nouvelle loi, l’élève n’obtiendra pas un permis définitif à la réussite de l’examen pratique, mais un permis à l’essai pour trois ans. Pendant cette période probatoire, le nouveau conducteur sera sanctionné plus sévèrement: s’il commet une infraction, sa période d’essai pourra être prolongée, son permis provisoire peut même être annulé, et il devra tout recommencer. Cette épée de Damoclès doit faire diminuer le taux d’accidents, trop important chez les jeunes conducteurs. Les nouveaux usagers de la route seront ainsi plus attentifs sur une plus longue durée et non pas uniquement pour leur examen.

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Le plus cher du monde

Si la réglementation reste paradoxalement assez souple en Suisse (il n’y a pas de cours pratiques obligatoires, par exemple), le prix du permis de conduire semble être le plus cher du monde. Pour avoir une chance de l’obtenir, la grande majorité des élèves suivent entre quinze et vingt heures de leçons de conduite.

A 80 ou 90 francs l’heure, et en y ajoutant les frais obligatoires (voir tableau), l’ardoise dépasse facilement les 2500 francs. Un prix qui n’englobe pas les éventuels échecs.

Dans la région genevoise, les moniteurs français ne s’étonnent donc pas de voir des résidents suisses porteurs d’un passeport européen venir se former chez eux pour passer un permis en France (les permis provisoires ne sont pas encore valables de l’autre côté de la frontière). Les auto-écoles y proposent des forfaits qui incluent les cours théoriques et une vingtaine de cours pratiques pour environ 1000 euros, soit quelque 1500 francs suisses au taux de change actuel. L’heure de conduite supplémentaire coûte moins de 35 euros.

Aux Etats-Unis, le permis s’obtient après trois leçons à 30 dollars de l’heure.

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Une version de cet article est parue dans le magazine PME Magazine de novembre 2005