KAPITAL

A qui profite le sudoku

Après avoir vendu plus de 150’000 brochures en Suisse romande, Le Matin prépare une émission de TV sudoku. Un jeu qui fait du chiffre.

Les petites grilles aux chiffres mystérieux, voilà une affaire qui rapporte gros! «Nous allons générer cette année un million de francs grâce aux produits liés au sudoku», indique Théo Bouchat, directeur du quotidien Le Matin.

Et le journal ne compte pas s’arrêter en si bon chemin puisqu’il va bientôt proposer toute une gamme de nouveautés dérivées du sudoku: des grilles basées sur les lettres de l’alphabet, une version light pour enfants, un sudoku «giganto» de plusieurs grilles, ainsi qu’une émission télévisée, réalisée en partenariat avec la TSR. «Ce projet devrait débuter dès novembre, avec une grande finale en décembre», annonce Théo Bouchat.

Dans le même registre, Le Temps propose un casse-tête sur téléphone mobile: le set de dix grilles est envoyé par SMS et coûte 9 francs, directement ajoutés à la facture mensuelle de l’opérateur. Le principe est le même que le sudoku sur papier et il est possible d’inscrire les chiffres de façon provisoire, «au crayon», le tout via le clavier de son téléphone.

Phénomène identique sur le marché des consoles. Le géant japonais Sony va ajouter sa touche en commercialisant dès décembre le jeu «Go! Sudoku» pour sa PSP. Au menu: 1000 grilles, une option multijoueurs pour affronter jusqu’à trois adversaires en direct via une liaison sans fil, un mode coopératif et, bien sûr, la possibilité de télécharger davantage de grilles.

En Suisse, d’autres petits malins ont flairé le bon filon, comme les magasins vaudois Yann Vaucher, qui vendent des plaques de chocolat dont l’emballage contient une grille de jeu. Certains éditeurs se sont mis à créer des grilles en trois dimensions, voire avec des cases supplémentaires. Il y a d’ailleurs de la marge: il existerait au total 10 puissance 50 possibilités de grilles, soit un 10 suivi de… 49 zéros.

Xavier Comtesse, mathématicien et directeur romand de la fondation Avenir Suisse, fait partie des innombrables accros: «Le succès planétaire de ce jeu, qui dépasse les clivages sociaux et les frontières géographiques, s’explique selon moi par la rareté d’un tel type d’exercice cérébral. Le sudoku s’apparente au jeu stratégique go, surtout pour les niveaux élevés où l’anticipation virtuelle est primordiale. Une fois certaines techniques acquises, le jeu se base sur la logique récursive et non pas linéaire.»

Depuis l’été, ce jeu aux origines millénaires connaît donc une nouvelle naissance grâce à un certain Wayne Gould. Juge néo-zélandais à la retraite, il découvre le sudoku en 1997 au Japon, passe six ans à programmer un logiciel permettant de créer de nouvelles grilles. Celui-ci une fois au point en 2004, il contacte le quotidien anglais The Times, qui l’adopte immédiatement, suivi par tous ses concurrents.

Après l’Angleterre, le mouvement conquiert l’Australie, les Etats-Unis, et le reste de l’Europe. L’ancien juge, qui participe au championnat du monde de Londres en octobre, fournit aujourd’hui ses grilles, via sa société de software Pappocom basée à Hong Kong, à 70 journaux de 27 pays. «Nous envisageons de faire venir Wayne Gould à Lausanne l’an prochain dans le cadre d’une compétition», déclare Théo Bouchat.

Le logiciel de création de grilles de Pappocom est disponible via Sudoku.com, pour 14,95 dollars. Une fois téléchargé, le jeu devient interactif et permet par exemple une correction simultanée. Mais la société de Wayne Gould n’est pas seule. D’autres sites, tel Sudoku-solver, offrent des logiciels de résolution gratuits.

Outre les logiciels disponibles sur le marché, les commerces regorgent de livres consacrés au sudoku. Au Japon, cinq mensuels y sont dédiés, tirés à plus de 650 000 exemplaires. Le Matin a quant a lui vendu cette année plus de 150’000 livres de sudoku sur le seul marché romand. «Nous avons choisi de travailler avec Wayne Gould car son logiciel ne comporte pas d’erreur et parce que chaque grille n’a qu’une solution, contrairement aux sudokus proposés par certains éditeurs qui travaillent sans l’aide d’ordinateurs», explique Théo Bouchat.

Maxime Zuber, mathématicien et maire de Moutier relève le potentiel éducatif du sudoku: «L’aspect ludique du jeu incitera peut-être un plus grand nombre de personnes à s’intéresser aux mathématiques.» Un avis partagé par Daniel Brélaz, syndic de Lausanne et également mathématicien: «Il existe des jeux avec des lettres, alors pourquoi pas avec des chiffres? Réapprendre l’arithmétique ne peut pas faire de mal.»

Bien que le nom sudoku soit l’abréviation de la phrase «suji wa dokushin ni kagirua», qui signifie en japonais «seul un chiffre est autorisé», les origines du jeu sont chinoises. Ce sont en effet, les Chinois qui, il y a des milliers d’années, se sont intéressés au «carré magique», dont la somme de chaque ligne et colonne était identique.

Puis toutes les civilisations s’en sont emparé: thème de prédilection chez les mathématiciens indiens, le carré magique était présent déjà vers l’an mille dans le monde arabe. Au XVIIIe siècle, le mathématicien bâlois Leonhard Euler (1707-1783) crée le «carré latin», où les symboles n’apparaissent qu’une fois dans chaque ligne et colonne.

Ces carrés tombèrent dans l’oubli, jusqu’à ce que l’éditeur américain Dell Puzzle Magazines, crée dans les années 70 une grille appelée «Number Place». Réticents face aux mots croisés qui ne fonctionnent pas avec leur alphabet, les Japonais, dès 1984, s’enthousiasment pour cette variante du Rubik’s cube, qu’ils renomment sudoku.