Alors que les Suisses ont accepté l’extension de la libre circulation, on se demande quel peuple européen l’aurait approuvée. Et pourtant, cela ne fait que nous enfoncer un peu plus dans ce trou gris au centre de la carte de l’Europe.
Intox. Matraquage médiatique. Sondages pipés. Les résultats du vote du 25 septembre 2005 sont patents. Qu’est-ce qu’il ne faut pas faire pour maintenir éveillée la conscience politique de nos concitoyens et les inciter à se rendre aux urnes pour des votations trimestrielles planifiées à l’avance!
Rendez-vous sur le site de l’administration fédérale en vous saisissant de vos agendas électroniques et vous pourrez bloquer vos week-end électoraux jusqu’en l’an 2020. La Suisse tourne, vote et ronronne.
Le 27 novembre prochain, nous voterons sur les manipulations génétiques et sur l’heure d’ouverture des commerces dans les gares. On va toucher là le Cervin de la politique et les débats seront à la hauteur: la génétique est, de toute manière, incontrôlable puisqu’on se nourrit essentiellement d’aliments importés. Quant à l’horaire des commerces para-ferroviaires, il me rappelle le sketch de Bourvil sur l’eau ferrugineuse…
Donc vive l’intox, le matraquage médiatique et les sondages pipés? Pas vraiment.
Fallait-il mobiliser un Etat et ses électeurs pour reconfirmer les accords bilatéraux alors qu’on venait en juin dernier de mobiliser ce même Etat, ces mêmes électeurs pour confirmer ces mêmes accords bilatéraux acceptés par arrêtés promulgués le même jour (le 17 décembre 2004) par le Conseil fédéral? Je ne le pense pas.
Non pas parce que cela coûte de l’argent. Pas non plus parce qu’il s’agissait de mettre Blocher dans l’embarras. Encore moins parce que voter sur Schengen et le plombier polonais, c’est très différent.
Non, je le pense parce qu’en agissant ainsi, on prend les électeurs pour des imbéciles. Parce que ces prétendus imbéciles finiront par se lasser de voter.
Parce que tous ces débats sur l’Europe ne servent en fin de compte qu’à agiter un théâtre de marionnettes (de nains de jardins?). Parce que, hélas, en suivant dimanche après-midi les commentaires — répétitifs, redondants et ennuyeux — des politiciens, on voyait déjà le prochain os qu’ils allaient nous donner à ronger: l’extraction du congélateur de la fameuse demande d’adhésion à l’Union européenne déposée en été 1992 et son retrait officiel.
Quel meilleur moyen pour nous jouer encore une fois la farce (de plus en plus en plus sinistre) du «Je suis pour l’Europe» ou «Je suis contre l’Europe» en essayant de nous faire croire — par l’intox, le matraquage médiatique et les sondages pipés — qu’il y va de l’avenir du pays alors que cet avenir est fixé depuis longtemps.
Depuis 157 ans exactement, quand des constitutionnalistes, allumés par Dieu sait quelle piquette, proposèrent une Confédération où les Waldstätten (les cantons primitifs pour parler français) pesaient trois fois le canton de Zurich. Et que les Zurichois l’acceptèrent alors que les Waldstätten la refusèrent!
Pour le moment et pour longtemps, nous sommes isolés. Même si par un revirement extraordinaire de l’ordonnancement des neurones de sa boite crânienne, le Suisse décidait de renoncer à son sentiment d’exception et de supériorité, à la neutralité, à son goût pour le secret bancaire ou salarial, au perfectionnisme de ses trottoirs, etc., il nous faudrait des années pour enfin fraterniser avec nos amis maltais ou estoniens.
Que les sondages soient pipés ou, plutôt, les sondeurs incompétents (c’est mon sentiment chaque fois que mon regard s’attarde sur la chronique tenue par une sondeuse en chef dans un grand journal local), le résultat est le même.
On peut se pavaner orgueilleusement, comme aujourd’hui, en se disant que les Suisses ne sont pas xénophobes, en demandant à haute voix: «Quel pays européen donnerait une telle approbation s’il était consulté?», en soulignant la défaite de l’ultragauche et de l’extrême droite. Et alors? Cela ne fait que nous enfoncer un peu plus dans ce trou gris au centre de la carte de l’Europe.
Voter pour une libre circulation dont chacun sait qu’elle ne sera pas utilisée nous refait une virginité à bon compte. Elle nous vaudra un petit entre-filet ou ne brève dans la presse des pays concernés. Rien de plus, tant nous sommes continentalement inexistants.