Avant même la sortie d’un disque, la version sonnerie en assure la promotion. Mais qui y gagne de l’argent? Décryptage d’un secteur économique qui représente déjà 10% du marché musical.
«Rendre mon titre disponible en priorité sur les mobiles m’a semblé le moyen le plus direct pour faire découvrir au plus grand nombre ma nouvelle chanson.»
C’est ainsi que Johnny Hallyday a expliqué pourquoi il propose son nouveau single, «Ma religion dans son regard» (signé par le groupe Kyo), sous forme d’extraits à télécharger en sonnerie pour mobiles deux mois avant sa commercialisation. Sa maison de disque, Mercury, se réjouit de cette «première en France».
L’industrie du disque ne cesse d’expérimenter avec ce nouveau mode de consommation. En Scandinavie, les artistes composent régulièrement des titres en avant-première, voire même uniquement pour les téléphones.
Dans l’autre sens, on a vu récemment en Allemagne une chanson dérivée d’une animation pour mobile («Crazy Frog», d’Axel F.) faire son entrée dans les charts.
«L’industrie de la musique a compris que le téléphone portable avait un énorme potentiel et permettait de gagner beaucoup d’argent», explique Emily Turrettini, animatrice du blog Ringtonia consacré au marché des sonneries.
La moitié des usagers de téléphones mobiles, âgés de 15 à 30 ans, et un quart de l’ensemble des usagers, auraient téléchargé au moins une fois de la musique sur leur portable. Selon Forbes, le marché mondial atteint 4 milliards de dollars, soit le dixième du marché global de la musique, et pourrait doubler en 2005 par rapport à 2004.
De l’argent pour qui? La progression est sensible aussi en Suisse. Basée dans le canton de Zurich, la société Infowing qui est leader, avec une part de marché de 50%, emploie 22 personnes. Sa clientèle, composée majoritairement de jeunes âgés de 12 à 16 ans, peut télécharger sur son site des morceaux de musique, des fonds d’écran et des extraits de clips vidéo.
Les chansons sont disponibles en 3 formats: le monophonique (90 centimes), le polyphonique (1,80 francs) et le Realtune (3 francs). Les deux premiers formats sont des interprétations des morceaux originaux au synthétiseur. La société ne paie pas les maisons de disques pour ces adaptations, mais les compositeurs.
Dans le cas de Johnny Hallyday, c’est donc le groupe Kyo, et son éditeur, qui perçoivent ces droits. La situation est différente avec le format Realtune qui joue un extrait du morceau original en guise de sonnerie. Là, des droits sont versés à la maison de disque, et donc indirectement aux interprètes. C’est logiquement ce format que ciblent énergiquement les maisons de disques comme celle de Johnny, bien qu’elles servent aussi souvent d’éditeur pour les compositeurs.
«Plus du 80% des chansons d’EMI sont disponibles en format sonnerie plusieurs semaines avant la sortie de l’album», explique Patrick Zinhaeusirn, responsable des ventes chez EMI à Zürich, qui précise que la maison ne signe pas directement avec les opérateurs de téléphonie mobile, mais uniquement avec des sociétés spécialisées comme Infowing.
En tout, ces droits d’auteur représentent environ 10% du prix de vente de chaque titre. En Suisse, le marché atteint actuellement environ 10 millions, et la Suisa, qui gère les droits, prélève donc 1 million à verser aux auteurs et aux maisons de disques pour les droits.
«Si quelqu’un désire effectuer une adaptation, il devra demander une autorisation à la Suisa et à l’éditeur, pour le compte de l’artiste. S’il reproduit l’original, il devra demander l’autorisation à la Suisa et au producteur de l’enregistrement», précise Eric Mermod, juriste à la Suisa.
On relèvera le paradoxe technologique actuel: les chansons en version sonnerie de téléphone sont plus chères, pour une qualité médiocre, que ces mêmes chansons téléchargées en format MP3 sur une plate-forme comme iTunes.
Cette différence de prix s’explique notamment par l’énorme commission (50%) que prélèvent les opérateurs pour la transmission. Sur les 3 francs facturés pour le téléchargement d’un morceau en Realtune, 1,50 francs finit chez Swisscom, Orange ou Sunrise…
«Les consommateurs ne l’accepteront plus très longtemps, constate Emily Turrettini. D’autant que les nouveaux appareils permettent de transmettre les sonneries depuis son PC sur son téléphone via une connexion sans fil Bluetooth.»
Le nouveau réseau UMTS, avec sa haute capacité de transmission, promet de doper encore le marché en ajoutant les clips vidéo. La suite est prévisible: une sonnerie de mobile accompagnée du clip vidéo d’une chanson inédite du prochain album de Johnny Hallyday.