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La démocratie plébiscitaire, du Japon à l’Allemagne

Cette nouvelle forme de démocratie s’impose dans les pays occidentaux sans jamais faire émerger des hommes d’Etat, des politiciens dont la stature pourrait annoncer un renouveau politique. La faute aux médias?

Au lendemain de la victoire des libéraux de Koizumi Junichiro aux élections législatives japonaises, Joëlle Kuntz analysait finement dans un éditorial du Temps ce succès qu’elle attribue à l’avènement de la démocratie plébiscitaire*.

Le mot est joli. Son ambiguïté pléonastique — le choc entre le «demos» grec et la «plebs» romaine — est porteuse de toutes les inquiétudes des temps actuels. Cette démocratie, on le sent, pourrait vite tomber du côté de la plèbe et, cédant à la tentation populiste, se transformer en dictature plébiscitaire.

La France a connu cela sous Napoléon III et cela s’est très mal terminé par défaite militaire (contre Bismarck) et une révolution avortée (la Commune de Paris en 1871).

Il n’en reste pas moins que ce concept de démocratie plébiscitaire permet d’appréhender des phénomènes politiques typiquement contemporains (postmodernes?) comme l’incroyable ascension de Silvio Berlusconi en 2001 avec le martèlement massif et télévisé de slogans mensongers.

Ou bien encore, vous vous en souvenez peut-être, l’étrange succès aux élections néerlandaises de 2002, de la Liste Pim Fortuyn quelques jours après la mort du candidat qui pensait (il n’avait hélas pas tort!) qu’habillé de blanc, son racisme séduirait.

Sans parler de Bush ou de Blair qui, à force de mensonges simplets et simplificateurs, s’assurent de cossues majorités parlementaires. La liste ne se veut pas exhaustive: on pourrait aussi guigner vers l’Est où Poutine se fait plébisciter sur des attentats ourdis par ses services; ou au Sud, vers le Brésil, où un ancien prolo, Lula, annonce qu’il veut raser gratis alors qu’il n’a même pas de rasoir. Quant à Blocher…

On le voit au simple énoncé de ces noms, la démocratie plébiscitaire occupe de larges espaces sans jamais faire apparaître au premier plan des hommes d’Etat, des politiciens dont la stature pourrait annoncer un renouveau politique.

Ces espaces sont dégagés par la crise de la démocratie parlementaire traditionnelle dont les acteurs, trop nombreux, ne peuvent répondre à l’urgence et à la superficialité imposées par les médias. Qui se soucie encore de la bobine de ministres, de députés ou de simples politiciens?

Qui se soucie à l’heure du téléjournal de creuser le dossier étudié par ces spécialistes? Il faut une tête, une seule, à servir toute chaude, toute ronde, du matin au soir, de l’heure du café bien serré à celle du cognac ou de la douce tisane vespérale.

Là où cette tête fait défaut, en Norvège dimanche dernier ou en Allemagne dimanche prochain, les candidats au pouvoir se battent sur des programmes si proches qu’ils donnent l’impression de se retrouver tous en plein centre de l’échiquier politique. Alors que justement, dans un monde intégré, ce sont les petites nuances qui ont leur importance.

Que, dans la riche Norvège, le camp des partisans déclarés et reconnus d’une meilleure justice sociale remporte la mise n’est pas indifférent du point de vue de la morale politique (et du porte-monnaie des moins bien lotis).

Qu’en Allemagne, Schröder soit encore en mesure, malgré ses défauts, ses erreurs et ses compromissions, de barrer la route à une droite respirant une suffisance aux relents racistes n’est pas négligeable non plus. Mais qu’il gagne ou qu’il perde, ce ne sera que par une poignée de votes, loin de toute esbroufe plébiscitaire.

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*Extraits de l’éditorial de Joëlle Kuntz paru dans Le Temps du 12 septembre 2005:

«Tout se passe comme si les appareils de partis et les institutions représentatives ne parvenaient plus à produire par leur propre jeu des résultats politiques suffisants. Comme si leur temps était trop lent par rapport au temps court, raccourci encore par la télévision, des politiciens et des sociétés auxquelles ils ont à répondre.

La démocratie plébiscitaire touche toute l’Europe. L’Union demande à ses peuples d’approuver ce qui n’est qu’un traité constitutionnel. Nicolas Sarkozy en France promet de consulter le peuple sur l’adhésion de la Turquie. Tony Blair sur l’euro. Christoph Blocher souhaite l’élection directe du Conseil fédéral…

On dit, chaque fois, qu’il s’agit de «grandes questions historiques». Mais les questions s’agrandissent, et les institutions parlementaires se rapetissent quand des leaders choisissent d’adorer le peuple pour être adorés de lui. Oui, Koizumi est aimé. Et demain?»