LATITUDES

L’agression par le t-shirt

Pour attirer les jeunes, les marques provoquent avec des noms et des slogans de plus en plus insultants. L’exemple de Pornstar, FCUK, et plus récemment De Puta Madre avec sa drôle de légende.

Les industriels du t-shirt savent manier la provocation, surtout quand il s’agit de séduire le marché adolescent. Après les initiales allusives de la ligne French Connection UK (FCUK), après les pictogrammes classés X de chez Pornstar, c’est l’expression espagnole De Puta Madre qui a la faveur des consommateurs rebelles.

Impossible d’y échapper. Dans les capitales européennes, des foules de jeunes arborent ce slogan (qu’on traduira poliment par «du tonnerre») sur leurs chemises, polos ou t-shirts. Genève ne fait pas exception. «En trois semaines, nous avons vendu plus de 1000 habits de chez De Puta Madre. Un vrai phénomène!», s’enthousiasme Marc Laval, propriétaire du magasin genevois Freedom Store.

Comment cette ligne italienne a-t-elle réussi à devenir «hype» en quelques mois à peine? En s’inventant un passé sulfureux. De Puta Madre aurait été créée par un trafiquant colombien con- damné à Barcelone à 20 ans de prison en 1991, associé à son compagnon de cellule. Les deux hommes auraient décidé de lancer une ligne de t-shirts après s’être repentis de leurs crimes.

Voilà pour la légende, «à laquelle on croit, surtout les jeunes», affirme le représentant de la marque pour la Belgique, pays qui est en tête des ventes européennes après l’Italie. Complaisamment racontée sur le site officiel (deputamadre69.com), cette légende rappelle les exploits dont se vantent les stars du gangsta rap à longueur d’albums.

Le style des vêtements a fait le reste. «Pour la plu-part des clients, c’est surtout le look De Puta Madre qui attire, indique Promostore, qui distribue la ligne en Suisse depuis le printemps 2005. Cet engouement nous a pris par surprise. A ce jour, nous avons une quarantaine de clients, répartis sur 70 points de vente, dont 20 en Suisse romande.» Histoire de ne pas trop choquer les parents, la marque recommande sur ses étiquettes de ne pas commettre d’actions illégales, ni de consommer de drogues («No to drugs, no to violence»). Et si vous voulez vous sentir différents, portez nos t-shirts, écrit-elle. Ce qui la dédouane par rapport aux slogans qui ornent ses habits: Traficante, Cocaina Delivery Service, Pablo Escobar 1949-1993, Fuck Barbie, Fuck Fashion, Sex Trainer, Sex Trip, etc.

Au début de la décennie, la même approche provocatrice avait fait le succès des t-shirts Pornstar avec ses slogans «Masturbating is not a crime» ou «God caught wanking». Initialement destinés aux adultes, ces modèles avaient rapidement été adoptés par les adolescents voulant jouer les gros bras.

Selon Jean Rossiaud, sociologue à l’Université de Genève, «cette mode du vêtement agressif est troublante car c’est une remise en question des valeurs fondamentales de la société comme la politesse, le respect de soi ou de l’autre. Mais c’est davantage une récupération de la violence et d’un certain malaise à des fins mercantiles qu’une véritable provocation contestataire.»