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…de mon sac à dos: Radu Anton Roman

On peut adorer marcher dans le Seeland, grimper les sentiers valaisans, parcourir les mers en paquebot, papillonner de ville en ville en avion ou de quartier en quartier en trolleybus, il y a toujours un moment où, harassé, on se retrouve assis sur un tabouret dans sa cuisine avec un objectif impératif: oublier les kilomètres et se mitonner un bon petit repas.

Etant donné que la cuisine suisse est à peu près aussi souriante qu’un Blocher dégustant un steak de cheval au marché-concours de Saignelégier, nous sommes, nous autres pauvres Helvètes, contraints de montrer notre esprit d’ouverture en nous tournant vers les saveurs étrangères, les fumets lointains, les plats exotiques.

Vous avez vu comme moi les Channes valaisannes, les Pintes fribourgeoises, les Caves vaudoises, voire même les Chalets suisses et les Restaurants français disparaître au profit d’enseignes hautes en couleur renvoyant à des cuisines épicées à la mode africaine, asiatique, arabe ou latino. N’importe quel bled du Gros-de-Vaud tente désormais de séduire le chaland avec une pitance mondialisée.

Pour ma part, je refuse ce jeu-là. Et dès que je dois me refaire une santé en abandonnant les voyages réels ou virtuels, c’est, je l’avoue sans fausse pudeur, la cuisine roumaine que je pratique.

Elle semble faite pour déstresser les gens pressés. La fabrication du plat le plus simple vous immobilise facilement une ou deux heures, ne serait-ce que pour couper fin les grosses quantités de légumes, oignons et autres fines herbes – persil, aneth, livèche – que l’on retrouve à la base de la plupart des recettes.

Or il est bien connu que le maniement du couteau et du hachoir demande une telle concentration qu’il exige certes une tête bien faite, mais vide. Quel repos!

Ce repos est d’autant plus agréable qu’il existe depuis quelques mois dans les librairies, un gros bouquin (1 kg 100, 14,5 sur 23,5 cm) que je n’ai jamais mis dans mon sac à dos mais que je laisse gentiment sur un coin de la table de cuisine, un livre qui raconte la cuisine roumaine en long et en large, en buvant et en riant, en cuisinier avisé et en historien pointu, en ethnologue et en fine bouche. Il s’agit de «Savoureuse Roumanie» les 358 recettes culinaires racontée avec leur histoire par un bonhomme, Radu Anton Roman, aussi savoureux que les plats qu’il décrit. Si vous en doutez, allez l’écouter aux rencontres franco-roumaines de Sète à la mi-octobre, il y sera.

En général le touriste qui parcourt la Roumanie sans y avoir quelques accointances n’en revient pas en emportant un souvenir inoubliable de la cuisine locale. Hôtels et restaurants se livrent en effet une concurrence acharnée pour servir de désespérants steaks-frites censés témoigner du haut degré d’européanisation du pays.

Mais que ce touriste accepte de loger chez l’habitant, en demandant de manger des plats locaux, il découvrira avec émerveillement des choses tout à fait inattendues. Comme par exemple ces beignets de champignons qu’une hôtesse de Vama en Bucovine (par ailleurs prof d’anglais au lycée local) nous a servi au petit-déjeuner avant qu’avec quelques amis nous partions à la découverte des monastères.

R. A. Roman en donne la recette que je vous livre telle quelle, avec le commentaire liminal:

Qu’ajouter? Il y a 358 recettes de cette qualité dans le bouquin de R. A. Roman. Il parcourt les cuisines des peuples de Roumanie. Il nous trimballe dans toutes les provinces, de la montagne à la mer. Du lièvre et du sanglier au silure et au sandre. Il rend hommage aux traditions festives qui sont nombreuses et ne manque pas de donner les menus qui accompagnent la Noël, Pâques, un mariage ou un enterrement. Avec des explications fines et délicates, même si l’humour porte souvent une marque rabelaisienne de fort bon aloi dans un tel contexte.

Mieux que n’importe quel moyen de transport, «Savoureuse Roumanie» vous dévoile la Roumanie profonde, celle qui de Bucarest à Arad, de Chicago à Paris en passant par Sidney et Genève mange à Noël un seul plat d’un seul mouvement: les sarmale, autrement dit des feuilles de chou saumuré roulées, farcies de riz et de viande hachée, accompagnées de polenta.

Pour la bonne bouche, j’ai décidé de vous donner une dernière recette tirée au hasard. Le hasard fait toujours très bien les choses, voici la soupe d’oie:

Quand je vous disais que cette cuisine est reposante pour la tête et les jambes: vous avez certainement noté au passage la quantité de produits à hacher menu. C’est que la Roumanie est encore rurale et familiale et que les vieux ne manquent pour servir de petites mains.
Mais je voulais interrompre mes propositions de pérégrinations en me repliant sur la cuisine. Or voilà que cette oie me donne envie d’aller en tâter sur place. J’y vais, j’y vole. Le festival Enescu m’attend à Bucarest.

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«Savoureuse Roumanie. 358 recettes culinaires et leur histoire», par Radu Anton Roman, les Editions Noir sur blanc, Montricher (VD), 2004, 661 pages illustrées de gravures du XIXe s.