TECHNOPHILE

Vers la connectivité universelle

Le téléphone fixe devient gratuit, tandis que le haut débit apporte de nouvelles possibilités au mobile comme la musique, la visioconférence, la télévision et les jeux

La plate-forme d’échange Napster, puis ses descendants comme Kazaa, ont eu un effet dévastateur sur l’industrie du disque. Sur le même modèle, Skype fait trembler le monde de la téléphonie. Cent millions d’internautes ont déjà téléchargé ce petit logiciel qui permet de téléphoner depuis son PC à travers le réseau internet.

Les communications entre deux usagers de Skype sont gratuites, mais on peut aussi utiliser le logiciel pour atteindre une ligne téléphonique classique à des tarifs défiant toute concurrence, surtout pour les longues distances.

Chargé de programme au Burkina Faso pour une organisation internationale, Gaël Gillabert utilise Skype quotidiennement pour joindre sa famille: «Appeler la Suisse avec un téléphone classique coûterait 3 francs la minute. Avec Skype, le même appel est facturé 3,4 centimes la minute, presque 90 fois moins! Cette technologie a changé ma vie.»

Véhiculer de la voix sur l’internet n’est pas révolutionnaire techniquement. Mais en s’appuyant sur les liaisons permanentes à haut débit, facturées forfaitairement, la téléphonie IP démolit le modèle économique du téléphone et sa facturation à la minute. En proposant de la téléphonie à prix cassés sans entretenir le moindre kilomètre de réseau, Skype contraint les opérateurs à repenser leur modèle.

«Notre réponse à Skype, c’est de vendre des accès ADSL qui permettent de l’utiliser, ironise à moitié Christian Neuhaus, porte-parole de Swisscom. Avec ce genre de concurrent, nous réalisons que nous devons proposer des services à valeur ajoutée, comme la télévision, dans le monde des réseaux fixes.» Si Swisscom se met à la télé, on l’a vu, c’est aussi parce que Cablecom vend du téléphone: son offre «Digital Phone» de téléphonie sur internet par le câble est la moins chère de Suisse.

On comprend pourquoi Swisscom s’accroche à deux mains à son monopole sur le dernier kilomètre, qui lui permet de limiter la concurrence et de maintenir un prix élevé pour les raccordements ADSL. Soutenu politiquement par une gauche qui semble avoir oublié que Swisscom est une entreprise privée, l’opérateur freine le développement technologique de l’ADSL pour éviter de devoir investir dans de nouvelles infrastructures. Après le National, le Conseil des Etats se prononcera dès le 30 juin sur ce dossier. En guise de comparaison, chez nos voisins, où les lignes de France Telecom sont dégroupées, les opérateurs privés proposent désormais des liaisons ADSL trente fois plus rapides que celle de Swisscom, pour le même prix, soit 45 francs suisses…

Heureusement pour Swisscom, le réseau mobile garde un fort potentiel de profit. «A l’inverse de l’internaute, l’abonné mobile est habitué à payer pour tout ce qu’il touche, constate David Marcus, fondateur d’Echovox, une entreprise basée à Genève qui commercialise des services cellulaires dans le monde entier. Les mêmes gamins qui piratent de la musique sur l’internet sont prêts à débourser plusieurs dizaines de francs par mois pour installer des logos ou des sonneries sur leur mobile.»

Du coup, les observateurs voient d’un bon oeil les technologies EDGE (voir lexique) et UMTS qui permettent finalement la transmission à haut débit sur les mobiles. L’UMTS de Swisscom couvre désormais tous les grands centres urbains (90% de la population) et compte environ vingt mille abonnés. Pour l’instant, les services proposés sont la visioconférence, facturée au prix d’un appel normal, et la télévision (une dizaine de chaînes et des clips vidéo) pour un prix de lancement de 1 fr. 50 l’heure. Orange lancera son réseau UMTS cet été.

Il est encore difficile de prévoir quels seront les services les plus populaires, et les plus rentables, sur ce nouveau réseau. «Je ne pense pas qu’une seule application s’imposera, estime Bruno Giussani, auteur et producteur de la conférence technologique Tedglobal à Londres. Les usages seront variés: photos, musique, infos, jeux, sport, sexe, loteries…»

Sous quelle forme? «L’écran du mobile reste mal adapté au visionnement de longs programmes, répond David Marcus. On l’utilisera pour les “news” ou pour revoir l’action d’un match de foot, mais difficilement pour un film ou une émission. Par contre, le téléchargement de musique va certainement décoller: un internaute qui paie aujourd’hui entre 1 ou 2 francs pour une chanson sur internet paiera jusqu’à 4 francs pour l’avoir sur son mobile, transformé en baladeur.»

Autres perspectives prometteuses: les jeux. Déjà, la nouvelle console PSP de Sony se branche sur internet au moyen d’une connexion Wifi. Une extension téléphonique sera proposée dans la foulée. Par ailleurs, les jeux vidéo pour téléphone se développent, et exploitent de plus en plus la connectivité. C’est le cas aussi des jeux d’argent et de loterie, qui marchent fort en Grande-Bretagne.

L’avenir du mobile appartient au son et à l’image, mais aussi au texte. Le succès des appareils Blackberry du fabricant canadien Research In Motion (reliable cialis generic) en est une illustration. Grâce à sa gestion continue du courrier électronique, le système Blackberry a séduit le marché américain et croît considérablement en Europe et en Suisse. Après l’e-mail, Blackberry veut étendre son concept aux messageries instantanées. Ainsi, RIM annonçait début avril des partenariats avec Microsoft et AOL pour intégrer leurs logiciels respectifs dans ses futurs appareils.

La tendance est forte. Ainsi, Echovox vient de lancer une telle plate-forme de «chat» instantanée, sur le modèle des messageries online. Baptisé Zeewee, son système permet de rester en permanence en contact avec ses amis et de se faire contacter textuellement à tout moment. «Le gros avantage, c’est de retrouver sur son mobile la liste de présence de la messagerie, la “buddy list”, qui permet notamment de savoir si les interlocuteurs sont disponibles, en ligne ou en séance, estime Bruno Giussani. Il faudrait cependant une liste unique au lieu d’une multiplication de standards.»

La messagerie instantanée utilise l’avantage du réseau de téléphonie mobile: la connectivité permanente, par rapport à la concurrence féroce du Wifi – liaison à courte distance moins chère et plus rapide – qui s’est imposée dans les foyers et les lieux publics (hôtels, gares, aéroports). Son extension, le WiMax, qui permet une couverture plus large avec moins d’antennes, est dans les cartons. «Il y de fortes chances pour que les premiers réseaux WiMax démarrent en 2006 en Suisse», dit Roberto Rivola de l’Ofcom. Pour Bruno Giussani, la connectivité du futur sera multiple: «GSM, Edge, Wifi, WiMax, UMTS… Personne n’a envie de faire un choix manuel parmi ce charabia de standards. Le téléphone du futur devra choisir parmi ce nuage de protocoles disponibles celui qui correspond le mieux aux besoins de l’usager à un moment donné.» On ne saurait espérer mieux.

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Une version de cet article est parue dans L’Hebdo du 28 avril 2005.