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Téléphones mobiles et développement

L’an dernier, le nombre de téléphones portables a presque doublé en Afrique. Bruno Giussani explique pourquoi il s’agit d’une nouvelle importante.

Les chiffres viennent d’être publiés: l’an dernier, le nombre d’abonnés à la téléphonie mobile a presque doublé en Afrique . 75.6 millions d’Africains avaient un portable à la fin de 2004. Une personne sur dix en moyenne, alors que sur l’ensemble du continent, il n’y a qu’environ 30 millions de téléphones fixes.

Nouvelle importante ou dérisoire? Dans l’imaginaire occidental, l’Afrique reste souvent un continent de guerres civiles, de tragédies humaines et sanitaires, et de mouches sur les paupières d’enfants rachitiques. Mais l’Afrique est également un continent vibrant, en mouvement, à la recherche de sa voie au développement. Et les téléphones mobiles en sont un instrument-clé (certes: eau potable, nourriture, santé et éducation viennent d’abord, mais ils ne sont pas le sujet d’aujourd’hui).

Si même les pauvres d’Afrique et d’ailleurs adoptent les téléphones mobiles en grand nombre, c’est parce que leurs bénéfices économiques sont immédiats et évidents (et il n’y a pas besoin de savoir lire et écrire pour utiliser un téléphone). En Zambie, par exemple, on peut payer par SMS dans de nombreux magasins et stations d’essence. Moins d’argent dans la caisse signifie moins de risque pour le gérant d’être dérobé.

En Inde, le long de la côte du Kerala, il y a dix-sept marché du poisson, où les prix fluctuent continuellement. Avant, les pêcheurs essayaient de deviner où ils auraient pu obtenir le meilleur prix pour leur poisson. Maintenant, ils téléphonent.

J’ai un ami, Iqbal Quadir, qui fut un des fondateurs de GrameenPhone, l’entreprise qui a introduit les téléphones portables dans le Bangladesh rural. Il m’a raconté un jour comment, enfant, il avait dû marcher toute une matinée d’un village à l’autre pour aller chez le seul médecin de la région, juste pour découvrir que l’homme n’était pas là. «J’ai marché tout l’après-midi pour rentrer chez moi en me disant que j’avais perdu une journée.»

Iqbal émigra ensuite aux Etats-Unis, où il étudia et trouva un emploi dans une banque de New York. Mais vingt ans plus tard (nous sommes au début des 1990), il fut pris par la même frustration: les ordinateurs de l’institut financier n’étaient pas encore connectés en réseau, et Iqbal et ses collègues devaient continuellement aller d’un bureau à l’autre pour s’échanger des fichiers sur disquette. C’est alors qu’il eut une révélation: «La connectivité, c’est de la productivité, dit-il. Si, quand j’étais enfant, j’avais pu téléphoner au docteur, je n’aurais pas gaspillé ma journée en marchant d’un village à l’autre. La même chose reste vraie même dans le contexte d’une banque new-yorkaise.

C’est ainsi qu’Iqbal Quadir rentra au pays et, avec la collaboration de Grameenbank, une organisation de micro-crédit, développa l’idée d’un opérateur de téléphonie mobile pour connecter les villages du Bangladesh rural. «A l’époque Grameenbank prêtait 100 dollars à tous ceux qui voulaient acheter une vache, en pensant qu’ils auraient vendu le lait, réalisé un profit et repayé le prêt. Je leur ai dit de considérer le téléphone portable comme une vache, mais une vache qui sur le long terme produit plus de lait.»

Ils déployèrent un réseau et, en 1997, commencèrent à concéder des micro-prêts, surtout à des femmes, pour l’achat de téléphones portables et la vente de «services de communication» aux habitants des villages. «Cela a eu un triple impact positif, permettant de donner une opportunité économique à de nombreuses femmes, connecter tout un village au reste du monde, et instiller une culture entrepreneuriale qui est la clé du développement économique.»

Certains des téléphones cellulaires les plus utilisés au monde se trouvent aujourd’hui au Bangladesh, parce que chaque abonnement «sert» des dizaines ou centaines de personnes. Qui ne doivent donc plus marcher toute une journée pour aller voir un docteur qui n’est pas là.

C’est ce qui explique le boom des téléphones portables en Afrique en 2004. Et c’est pourquoi il s’agit d’une nouvelle importante.

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Bruno Giussani est auteur et chroniqueur suisse. Il est producteur de la conférence Tedglobal (Oxford, Angleterre, 12-15 juillet 2005, www.ted.com).