LATITUDES

Pour un quatrième âge jovial et actif

La votation vaudoise relance le débat sur les conditions de vie en institution. Enquête et regard sur les solutions innovantes lancées dans différents cantons.

Yvette Dugerdil, 92 ans, s’efforce de suivre le débat. Elle veut qu’on lui explique les enjeux de cette nouvelle loi sur les EMS (Lems) qui divise le canton de Vaud. Faut-il faire payer un loyer moyen de 30 francs par jour aux résidents? Elle ne sait pas. En ce moment, elle attend que l’aide-soignant vienne faire son lit. Dans ses 16 m2, elle a réussi à se créer un cocon grâce aux affaires personnelles qu’elle a emportées de la maison. Yvette a eu de la chance. Bien qu’arrivée en urgence l’an dernier, elle a pu bénéficier d’une chambre individuelle alors que la majorité des résidents vaudois (3400 sur 6000) sont obligés de partager leur intimité avec un inconnu.

«Il est inhumain de faire vivre deux personnes dans la même chambre à 90 ans, dit Claire-Lise Malagoli, directrice de La Clairière. Ce devrait être un droit pour tous d’avoir accès à une chambre simple.» L’établissement de Mies (VD) a donc prévu de construire vingt nouvelles chambres individuelles en plus des cinquante-six existantes. Si la Lems est acceptée par le peuple, les travaux pourront débuter immédiatement. Dans le cas contraire, le projet de La Clairière devra passer devant le Grand Conseil, comme tous les autres.

La nouvelle loi doit permettre de construire 400 lits supplémentaires dans le canton d’ici à 2010 pour répondre à l’évolution démographique. Si elle est vivement contestée, c’est à cause de ce loyer de 30 francs par jour qu’elle prévoit de demander aux résidents qui en ont les moyens.

Selon les données du Département vaudois de la santé et de l’action sociale (DSAS), une journée en EMS coûte aujourd’hui en moyenne 242 francs par personne, comprenant les soins, les prestations socio-hôtelières et les infrastructures. Les 30 francs de loyer prévus soulageraient l’Etat de Vaud, qui, au lieu de financer seul les biens immobiliers et l’équipement des EMS, partagerait les charges avec les communes, la Confédération et les personnes hébergées. Ce qui lui permettrait de réduire d’environ 22 millions ses charges annuelles dans ce domaine.

«Seuls les résidents fortunés, qui représentent les 20% des personnes hébergées, devront payer de leur poche, précise Tristan Gratier, secrétaire général de l’Association vaudoise d’établissements médico-sociaux (AVDEMS) et membre du comité de la Lems-oui. Tous les autres auront droit aux prestations complémentaires.» Un argument qui n’apaise pas la controverse. «D’un côté, on réalise des économies en réduisant le personnel, et donc la prise en charge des résidents, et de l’autre on leur demande de payer un loyer, c’est aberrant», s’insurge Marc Vuilleumier, président de l’Association des vieillards, invalides, veuves et orphelins (AVIVO).

Au-delà du débat sur la nouvelle loi, ce sont les conditions de vie en EMS qui suscitent le plus d’interrogations. Puisque, comme le précise Tristan Gratier, seuls trente des 170 établissements vaudois ont été construits dans un but médico-social. La plupart des résidents actuels sont hébergés dans des bâtiments qui étaient autrefois des hôpitaux et des hôtels.

«Il s’agissait d’un programme novateur au début des années 1970, explique Jérôme Azau, directeur de l’EMS Mont-Calme à Lausanne. Mais aujourd’hui, le Canton est très en retard par rapport aux normes architecturales, d’autant qu’il a subi un moratoire durant plusieurs années.» On trouve encore des résidents contraints à vivre à trois dans la même chambre, ce qui sera aboli dès 2006.

Si le droit à la chambre individuelle fait l’unanimité chez les professionnels, il n’est de loin pas appliqué dans le canton de Vaud. «Il arrive que le résident doive payer un supplément pouvant aller jusqu’à 100 francs par jour pour être seul dans sa chambre», explique Fabrice Ghelfi, économiste au DSAS. Une pratique qui sera abolie en cas d’acceptation de la Lems.

D’un point de vue architectural, les nouveaux EMS vaudois seront mieux adaptés aux besoins des résidents. Les murs crépis seront bannis, les rampes obligatoires, les locaux plus spacieux. Pour éviter l’isolement, les bâtiments seront construits dans les agglomérations et permettront une intégration dans la vie associative.

Pour que les personnes âgées puissent côtoyer des enfants, et avoir des contacts avec des personnes plus jeunes, des établissements intergénérationnels sont construits dans plusieurs cantons, à l’image des Baumettes de Renens, qui abritent une crèche.

A Chêne-Bougeries (GE), le projet du Nouveau Prieuré propose un concept totalement novateur: l’actuel home sera détruit et remplacé par un complexe qui contiendra également une crèche et des logements pour étudiants. «Les bâtiments seront concentrés autour d’une place du village qui favorisera la cohabitation», explique Nicole Fatio, secrétaire générale du Bureau central genevois d’aide sociale, propriétaire du terrain, qui se bat depuis trois ans pour obtenir le financement.

Ce développement tous azimuts des EMS se ferait-il au détriment des soins à domicile, deuxième pilier de la politique médico-sociale vaudoise? Actuellement, 35% des nonagénaires vaudois sont hébergés. Marie Guignard, présidente de l’Association des résidents Résid’EMS, accuse la Lems de freiner les soins à domicile en créant de nouveaux lits. Un avis qui ne fait pas l’unanimité. «Ce qui freine les soins à domicile, c’est l’incompatibilité des appartements actuels avec la perte d’autonomie des habitants», estime Filip Uffer, directeur de Pro Senectute Vaud.

Une petite marche ou un palier dans la douche peuvent devenir de réels obstacles à une vie harmonieuse. C’est pourquoi la Fondation Val Paisible vient d’obtenir un mandat pour construire à Lausanne un second complexe non médicalisé sans barrières architecturales, comprenant familles, centres de rencontres et un concierge-animateur en permanence.

En Suisse alémanique, le concept Bonacasa rencontre un succès encourageant. Ces complexes d’appartements favorisent le développement durable. Sans barrières architecturales, ils permettent aux habitants d’y vivre le plus longtemps possible. Les locataires peuvent décider de bénéficier ou non des prestations des EMS à proximité. Martin Perrot, chef de projet au sein de l’entreprise Bracher und Partner, à l’origine du label, cherche aujourd’hui à importer le concept en Suisse romande, très demandeuse de ce genre d’infrastructures. C’est dire si, que la Lems passe ou non, le débat sur les modes d’hébergement des personnes âgées ne fait que commencer.

Une chambre à soi en EMS

Extraits de témoignages* de pensionnaires recueillis par Isabelle Guisan, écrivain, dans deux EMS lausannois.

Mme R. (95 ans, dix mois en EMS)

«Fermez la porte! Il y a des courant d’air!» Ma voisine me dit ça toute la journée à peine j’arrive. Je lui dis «laissez-moi entrer au moins». Les courants d’air, ils passent par le trou de la serrure, oui!
Je ne veux plus cette dame qui reste à moitié nue sans duvet sur son lit, enveloppée dans un châle comme un chiffon autour d’elle. Elle est là tout le temps à côté de la fenêtre à lire.

Elle a la fenêtre ouverte mais quand je rentre, elle ferme tout comme s’il y avait le fou qui rentre. Moi aussi, j’ai besoin d’air! Je suis du côté du lavabo et quand elle tire le rideau entre nos lits, je ne vois plus rien. J’aimerais avoir un peu de lumière, d’air, j’ai l’impression d’être en prison.

On se dit juste «bonjour Madame, bon appétit, bonsoir Madame, bonne nuit» et c’est tout. On ne se parle pas! Moi je ne dis rien, je ne veux pas faire d’histoire. (…) Quand je ne mange pas quelque chose, je lui propose et elle accepte toujours. Mais elle dit juste «merci, merci». Et je reçois des engueulées parce qu’elle est déjà assez grosse. Elle ne fait rien de mal mais elle me fait du mal. (…)

Mme. V. (85 ans, 2 ans en EMS)

(…) Je partage ma chambre avec une dame qui ne parle pas. Elle a 97 ans, elle est fatiguée et ne mange presque rien. Elle était alpiniste, elle a escaladé des montagnes avec son mari et pourtant, elle ne veut pas qu’on la mette en chaise roulante sur le balcon pour voir les montagnes, le lac, la nature. Elle ne veut que son lit. Mais quand les aides viennent faire sa toilette, elles la trouvent souple, elle peut faire le pont dans son lit.

J’aimerais la voir réagir! Elle s’est mise dans la tête qu’elle veut mourir alors qu’elle ne prend pas un médicament, juste des antibiotiques pendant trois jours quand elle a une bronchite. Je suis dérangée par sa toux continuelle, ça roule tout le temps. En plus, elle crache, c’est dégoûtant, certains soignants m’ont même dit qu’ils avaient envie de vomir.

Alors, pendant quelque temps, je suis allée dormir ailleurs. Je prenais mon oreiller et mon édredon après le passage de la veilleuse, pour ne pas l’impliquer, et j’allais au petit salon; sur le divan, si on replie les jambes, ça va. (…)

M.D. (90 ans, six mois en EMS)

Moi, je suis content, j’ai une chambre à moi. La vue, c’est l’idéal, j’ai un grand balcon avec la pensionnaire d’à côté que je suis arrivé à mater un peu. Elle passe dix fois par jour devant ma fenêtre et au début, elle regardait dans ma chambre. Je lui ai dit «il faut arrêter de me regarder, ça me fait penser à des tas de choses». (…) Il n’y a pas que des gens 18 carats ici mais il faut s’y faire, il y a d’autres gens ailleurs qui vivent bien pire.

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*«Une chambre à soi en EMS. Rêves et réalités». Le recueil peut être commandé en écrivant à: iguisan@bluewin.ch

Dessins: Alexia de Burgos

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Une version de cet article est parue dans L’Hebdo du 7 avril 2005.