Dérapage ou provocation? Pour avoir qualifié les commémorations de la Shoah de «pornographie mémorielle», l’humoriste Dieudonné a provoqué un scandale dont les retombées risquent fort de le dépasser.
Pour n’avoir jamais vu un de ses spectacles, je ne m’avancerai pas sur les qualités artistiques de Dieudonné, mais une chose est certaine, il possède d’évidents talents d’agitateur politique. Avec un créneau encore plus évident: l’antisémitisme.
Car il aura beau se contorsionner, se contredire, se reprendre ou se déprendre, ses propos sont ceux d’un antisémite militant qui désire que cela se sache. Cela fait d’ailleurs plusieurs années qu’il cherche à se faire un nom dans ce domaine, en esquissant parfois de fausses retraites pour revenir plus fort quelques mois plus tard.
Cet homme est dangereux car il est habile et il sent très bien dans quelle direction souffle le vent. Comme il est de surcroît homme de spectacle, il sait utiliser avec précision et justesse les micros que lui tendent des médias toujours intéressés à faire bouillir leur audimat à coups de scandales.
Dieudonné est aussi dangereux parce que, jouant de son métissage, de sa double appartenance — bretonne par sa mère, camerounaise par son père –, il peut se permettre de tenir un double langage («mais ce n’est pas ce que je voulais dire!») en direction de deux communautés, les blacks/beurs et les juifs, qui pour être toutes deux minoritaires sont loin de partager les mêmes intérêts, d’avoir la même histoire, de rechercher le même type de reconnaissance.
En fait, paradoxalement, en cherchant à dresser les blacks/beurs contre les juifs, Dieudonné divise pour que les vrais blancs (les Bretons de le Pen?) puissent régner sans trop se casser la tête, les autres se la cassant mutuellement pour eux!
La démarche, on le voit, est des plus perverses et témoigne de la dégradation du tissus social que nous voyons se développer depuis des années. Le communautarisme est en train de s’imposer comme seule manière de gérer la catastrophe sociale engendrée par un libéralisme échevelé.
Dieudonné ne cherche pas ses aficionados dans les beaux quartiers, chez ceux qui, comme le ministre Gaymard, peuvent se payer (ou se faire payer) des appartements à plus de 20’000 francs par mois. Au contraire, il les cherche du côté des victimes de la fracture sociale, chez tous ces laissés-pour-compte d’une société qui ne cesse de paupériser les plus faibles — en majorité blacks/beurs — sans se poser fondamentalement la question du partage. La question non pas d’une utopique égalité, mais de la simple, d’une prosaïque équité.
Ce qui est encore plus inquiétant — c’est en quelque sorte, après l’antisémitisme et le communautarisme, le troisième niveau de la bombe à retardement –, c’est l’apolitisme des Dieudonné de service.
Je sais, il a tenté une fois, comme Coluche se plantait des plumes tricolores dans le cul, une candidature la présidence de la République. Rien de sérieux, juste un pirouette de saltimbanque qui fait trois petits tours et qui s’en va. Mais les paroles de haine qu’il distille à longueur d’interviews, elles, subsistent, se fraient un chemin chez des gens démunis, prêts à se lancer par désespoir dans la première aventure venue.
Comme il n’y a plus d’organisations politiques capables d’encadrer ce profond mal être social, le développer à la manière de Dieudonné revient à faire le lit du fascisme.
Dieudonné est non seulement un antisémite, il est un fasciste.