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Enfin du nouveau chez Ariel Sharon

Ariel Sharon serait-il devenu un fauteur de paix? L’affirmation est si curieuse qu’elle fait sursauter et suscite immédiatement l’apparition des signes marquant l’incrédulité: moue, regard ou geste dubitatifs.

C’est la réaction que j’ai eue la semaine dernière en lisant dans Le Monde l’article dans lequel le cinéaste Claude Lanzmann défend cette thèse. Le réalisateur de «Shoah», ancré dans depuis des décennies dans la gauche française et israélienne, s’appuyant sur la déclaration faite le 25 octobre 2004 par le premier ministre israélien devant la Knesset avant le vote crucial sur le plan de désengagement des colonies de Gaza en arrivait à cette étonnante conclusion:

«Les amis de la paix — dont je suis — doivent aider ces deux hommes, Ariel Sharon et Mahmoud Abbas. Il convient pour cela d’oublier les préjugés, les a priori, la langue de bois et les pensées toutes faites, d’être capable de percevoir ce qu’il y a de formidablement neuf dans les propos de chacun d’eux. Il faut les croire: c’est la meilleure façon de les aider.»

C’est bien dit, mais les préjugés ont la vie dure. Refermant le journal, j’ai passé à autre chose, sans rien retrancher de la défiance fortement teintée d’antipathie que j’éprouve depuis toujours envers Ariel Sharon.

Mais, le vendredi suivant, lisant la chronique de Daniel Schneidermann dans Libération qui, après lecture de Lanzmann, s’interroge sur la difficulté des journalistes à sortir de la routine et à renoncer aux préjugés, bercés qu’ils sont par le ronron des idées toutes faites, je me promets de reprendre l’affaire et de vérifier si Sharon a vraiment amorcé un tournant politique de première importance.

Vous connaissez la faiblesse humaine: le samedi, plutôt que me perdre dans les moteurs de recherche, je suis allé skier. Et le dimanche, avec une indolence de bon aloi, j’ai soigné mes courbatures. Tout en conservant par devers moi une légère mauvaise conscience sur la question Sharon. Car, tout de même, si un Bush chasse l’autre, de Sharon il n’y en a qu’un. Et il tient le haut du drame judéo-arabe depuis plus de quarante ans!

Mais de la mauvaise conscience à l’action, il y a une marge que je ne franchirai que quelques jours plus tard, après avoir encore lu lundi un éditorial dans le magazine Marianne («S’est-on trompé sur Sharon?» par Maurice Szafran) et une reprise de l’article de Lanzmann dans Le Temps du mardi 18 janvier.

Pourquoi m’étendre sur ces détails? Certainement pas pour vous tenir au courant de ma quotidienneté. Ce qui me frappe, c’est de voir à quel point, même si l’on se pique de garder l’œil vif et l’esprit en éveil, il est difficile de remettre en question les idées reçues.

J’ai vieilli avec un Sharon va-t’en-guerre, répressif, bourreau de Palestiniens, et j’ai de la peine à l’imaginer en butte à la haine de ses anciens amis de l’extrême-droite conquérante israélienne. Il ne s’agit pas seulement d’un confort intellectuel appuyé sur de vieilles certitudes, mais je sens qu’il y a un rejet presque physique à admettre que Sharon a pu changer.

Or, j’en suis désormais convaincu, Sharon a changé. En proposant le retrait de Gaza en octobre (à un moment où on savait Arafat malade, il ne mourra que le 11 novembre), Sharon ne s’est peut-être pas transformé en une paisible et frêle colombe, mais il a, qu’on le veuille ou non, bouleversé le champ politique israélien, ses amis les plus proches (dont une bonne partie des députés de son parti) s’étant subitement rangés dans le camp de ses ennemis mortels, ses vieux ennemis de la gauche serrant tout à coup les rangs autour de lui pour soutenir son nouveau programme politique.

On sait ce que valent les grands discours politiques. En général, ils servent de cadre général à la conduite d’un pays dont le sort dépend au jour le jour d’aléas très terre à terre. Ils fixent le cap d’une action qui sera forcément sinueuse.

Dans ce sens, le discours de Sharon mérite d’être lu une seconde fois. Il en vaut la peine. Il est tout en nuances, en rappels historiques et, en fin de compte, en esprit d’ouverture. Etonnant, vraiment étonnant.