LATITUDES

Images d’actualité et stress post-traumatique

La Télévision romande a mandaté une spécialiste du debriefing après catastrophe pour soigner ses équipes de visionnement. Les images de massacres et décapitations sont trop violentes, même pour les professionnels.

«Début janvier, avec toutes ces images de cadavres en décomposition, les documentalistes n’allaient pas bien.» Françoise Clément sait de quoi elle parle. Avant de diriger le service Documentation et Archives de la TSR, elle travaillait pour le CICR, où elle a été confrontée à plusieurs cas de stress post-traumatique chez les délégués.

«J’ai remarqué des situations similaires chez nos documentalistes qui doivent regarder les images d’actualité toute la journée, dit-elle. Ce qu’ils visionnent, c’est du brut de brut. Rien à voir avec ce qui est diffusé à l’écran.»

A la Télévision suisse romande, une quinzaine de personnes sont chargées d’archiver toutes les images envoyées par les agences. Massacres, décapitations, immolations, raz-de-marée… Rien ne leur est épargné. «J’ai commencé à me poser des questions à l’époque de Srebrenica, poursuit-elle, quand j’ai vu à la cafétéria des documentalistes qui faisaient des petits charniers dans leur assiette avec des morceaux de poulet.»

Pour les aider à mieux gérer cette violence, la responsable a contacté Martine Bourquin, une spécialiste du stress post-traumatique formée sur les champs de bataille d’Afghanistan et de Palestine.

«Au départ, les documentalistes ne pouvaient pas identifier leur stress, raconte cette ex-infirmière, devenue consultante en débriefing (notamment auprès de la DDC et du DFAE). Il y avait eu un suicide dans le service, dont les causes étaient restées ouvertes. Pour les aider à sortir de cette bulle, je leur ai recommandé de faire du sport, d’aller manger à l’extérieur au lieu d’avaler un sandwich au bureau, de communiquer, éventuellement d’écrire un journal de bord. Des choses qui peuvent paraître banales, mais qui évitent à la marmite d’exploser.»

Pour mieux encaisser le choc des images, les documentalistes ont aussi utilisé une technique nommée «buddy-system»: deux par deux, ils ont dû identifier les facteurs de stress, ses manifestations et les techniques pour le gérer. «Aujourd’hui, quand un «buddy» remarque un problème chez l’autre, ils peuvent le résoudre ensemble», dit Martine Bourquin.

Ces séances ont été jugées concluantes, au point que la TSR a décidé d’en organiser à l’intention de ses journalistes et monteurs les 22 et 29 janvier 2005.

«Je ne crois pas que les images d’aujourd’hui soient beaucoup plus violentes que celles d’hier, dit André Crettenand, rédacteur en chef de la TSR. Mais on assiste à une inflation d’images difficilement supportables, ce qui augmente le stress de tout le monde.»