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Une victoire difficile pour Hillary

Il n’aura pas fallu longtemps pour prendre la mesure de ce que nous annonce le second mandat George W. Bush. En politique intérieure, le remplacement à la Justice d’Ashcroft par Gonzales marque une sinistre continuité dans le non respect des droits de l’homme. Gonzales s’est signalé naguère en justifiant le recours à la torture comme moyen de gouvernement.

En politique extérieure, la fameuse offensive sur Fallouja annoncée depuis des semaines tourne à la destruction massive d’une ville et de ses habitants. Mais sans que l’objectif assigné soit atteint: les terroristes qui étaient censés s’y cacher et qu’il fallait prendre à tout prix n’y sont plus. Voilà qui nous rappelle la fuite rocambolesque du mollah Omar sur sa motocyclette.

Continuité donc dans la poursuite d’une politique néo-conservatrice et dans les gesticulations militaires sans rapport avec une quelconque ligne stratégique. Il n’est pas certain que cela soit contradictoire.

L’élection du 2 novembre a en effet sanctionné un profond virage réactionnaire (au sens propre de retour en arrière) et autoritaire de la politique américaine. C’est ce que la presse internationale a appelé le retour aux valeurs. Ce retour aux valeurs voulu et choisi par l’Amérique profonde est appelé à donner un exutoire aux angoisses engendrées par la disparition de l’ennemi public numéro 1 pendant tout le XXe siècle, le communisme.

L’histoire nous enseigne que les grands peuples, ceux qui sont devenus des puissances mondiales, ne peuvent maintenir leur cohésion interne sans se référer à un ennemi extérieur dont la fonction est double: il cristallise les pulsions de haine en les neutralisant (sauf lorsqu’il y a guerre ouverte) et il mobilise les énergies dans la compétition en faisant accepter les sacrifices nécessaires, frustrations salariales, sociales et culturelles. C’est la part animale de l’humanité qui doit trouver son compte. Tout le monde n’est pas beau, ni joli. Les périodes de paix ne sont que frêles embellies annonciatrices d’ouragans dévastateurs.

Dans l’Amérique de George W. Bush, c’est la bête qui parle. Il en va de même d’ailleurs dans la Russie de Vladimir Poutine. D’où le désarroi des Européens, ces Européens qui, une fois l’URSS disparue, se sont crus dans un continent de cocagne où l’on allait enfin pouvoir vivre peinards, travailler certes, mais avec modération pour pouvoir profiter des loisirs, s’adonner aux jeux, aux amours et aux plaisirs. Un hédonisme de pacotille domine nos cultures, faisant de la recherche des bonnes tables, des vins fins, des dernières créations de la mode le but ultime de l’existence.

Le regard des Américains du Midwest sur l’Europe d’aujourd’hui rappelle celui des vieux Romains découvrant l’armée d’Hannibal se vautrant dans les délices de Capoue. Comme ils ont la force, l’arrogance, la conviction profonde d’avoir raison, c’est dire que le virage à droite exprimé par la victoire de Bush va encore peser longtemps sur nos destinées. Ces mouvements venus des tréfonds des peuples sont longs à démarrer et encore plus longs à se résorber. A moins qu’un homme (ou un groupe) politique ne propose une rupture décisive.

Ce ne fut pas le cas de Kerry. Candidat falot, peu sûr de lui, et, surtout, dépourvu de toute pensée alternative, il n’a pas fait le poids. Tous les regards sont désormais fixés sur Hillary Clinton qui affiche depuis longtemps des ambitions présidentielles pour 2008. Or la belle Hillary a, par les temps qui courent, tous les attributs d’une anticandidate à un contre-emploi.

C’est d’une certaine manière la plus «européeenne» des personnalités politiques étasuniennes. Femme et intellectuelle, fine et cultivée, jamais elle ne pourra se déguiser en virago recourant à une démagogie sommaire et vulgaire pour imposer son ambition. Pour avoir quelques chances de succès, il faudrait qu’elle puisse imposer une transformation en profondeur du parti démocrate en lui donnant un programme qui puisse mobiliser les pulsions populaires sur autre chose que la chasse au Ben Laden et le salut au drapeau.

Elle est en cela tributaire d’une crise profonde de la pensée libérale tant aux Etats-Unis qu’en Europe. Pour fonctionner, le libéralisme n’a pas seulement besoin de la béquille économique, il doit aussi impérativement sécréter une culture pour asseoir son pouvoir. Les années Clinton, marquées par le fric, n’ont pas, malgré ses talents de saxophoniste, provoqué un tournant culturel. Il est peu probable que sa femme parvienne à remonter le courant aux cours des quatre prochaines années.