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Emmi, l’innovation par le lait

La Suisse ne produit pas de café, mais elle a des idées quand il s’agit de le commercialiser. Après le phénomène Nespresso, qui a transformé le processus de fabrication et de distribution des portions serrées, c’est une autre entreprise suisse, Emmi, qui est en passe de révolutionner le marché européen du café au lait.

Son dernier produit, Caffé Latte, vendu réfrigéré dans un récipient en plastique, a été lancé au printemps dans sept pays européens avec une mission claire: devenir une référence internationale en matière de «ready-to-drink».

C’est la grande tendance alimentaire de la décennie, valable autant pour la nourriture que pour les boissons: les consommateurs occidentaux exigent des produits déjà préparés, faciles à déballer et prêts-à-avaler. Pour satisfaire cette demande, les entreprises sont contraintes de reconsidérer totalement leurs modes de production, de manière à offrir des produits qui sauront imposer de nouvelles habitudes.

Si le thé froid est déjà commercialisé depuis plusieurs années en version prêt-à-boire — à la grande satisfaction de Nestlé, qui s’est approprié une bonne part de ce marché avec son Nestea –, le café au lait restait un breuvage largement artisanal qu’on préparait généralement au moment de le consommer. C’est cette habitude d’un autre siècle que la société lucernoise Emmi veut briser avec son Caffè Latte, qu’on boit chaud ou froid, au sortir du micro-ondes ou du réfrigérateur.

Le développement du produit et sa commercialisation ont été minutieusement préparés à Lucerne pour marquer un grand coup à l’échelle du continent.

«Une étude de marché, que nous avons effectuée au niveau mondial, nous a permis d’identifier une quarantaine de produits sur ce créneau, explique Stephan Wehrle, porte-parole d’Emmi. Aucun d’entre eux n’avait un succès global. Mais nous avons appris que, au Japon, un type de «caffè latte» rencontre un immense succès, et se vend encore mieux que le Coca-Cola. Nous avons donc déposé la marque Caffè Latte et préparé le lancement en Europe.»

Au début du printemps 2004, les récipients de couleur rouge (espresso), or (macchiato) et marron (cappuccino) ont ainsi fait leur apparition simultanément dans les supermarchés de Suisse, France, Allemagne, Hollande, Autriche, Espagne et Portugal.

La production, effectuée uniquement dans les usines suisses du groupe, a très vite atteint un rythme de croisière de 2,5, puis de 3 millions d’unités par mois. Après quelques problèmes rencontrés en été, elle est même montée à 4,5 millions d’unités en septembre.

Intrigués par ces flacons annonçant «un café vert cueilli en Inde, au Guatemala ou au Nicaragua, soigneusement sélectionné, amoureusement torréfié et frais moulu, dosé en portions expresso et marié à du bon lait frais», les consommateurs ont testé ce nouveau produit et y ont apparemment pris goût.

«Nous avons notamment développé une distribution dans les stations-service, car le produit se prête bien à une consommation en route», indique Stephan Wehrle, qui assure que le modèle rouge est aussi excitant et tonique que deux expressos. «Nous prévoyons maintenant de lancer le Caffè Latte en Europe de l’Est, dans les pays scandinaves et en Italie du Nord, où le potentiel est énorme.»

Il fallait une certaine audace à cette entreprise lucernoise pour se lancer dans l’exportation de produits laitiers frais… Quand on connaît le prix élevé du lait suisse en comparaison avec celui des pays limitrophes, on peut s’étonner que les consommateurs européens achètent des produits portant le logo rouge à croix blanche.

«Mais c’est justement là-dessus que nous voulons jouer, dit Stephan Wehrle. Nous insistons sur l’aspect «swissness», en nous positionnant comme un «premium product», assez cher. Nous ne voulons pas être distribués par des superdiscounters.»

L’exportation de produits dérivés haut de gamme: peut-on y voir un nouvel avenir pour le lait suisse?

«Pour Emmi, c’est un grand succès, mais cela reste une toute petite part du marché laitier, tempère Niklaus Schellibaum, responsable marketing des Producteurs suisses de lait. Le Caffè Latte est un produit «lifestyle» qui nécessite beaucoup de publicité. Cela dit, on peut tout de même parler d’un événement historique: pour la première fois, on exporte du lait suisse! Jusqu’ici, dans ce secteur, nos exportations se limitaient aux fromages.»

«Aujourd’hui, même si les taxes douanières restent élevées pour l’exportation de lait frais, l’affaire demeure intéressante pour Emmi, car un emballage de Caffè Latte ne contient que 20 ou 25 centilitres. C’est donc un marché restreint, mais qui connaît une forte croissance. L’aspect «qualité suisse» joue un rôle important auprès des consommateurs étrangers, parce qu’il évoque la nature et la nostalgie. Il y a un côté Heidi.»

Avec le lancement réussi de Caffè Latte au niveau européen, Emmi devrait pouvoir cette année encore tenir ses promesses de croissance et confirmer sa place de numéro un du marché suisse du lait (devant Migros). L’an dernier, son chiffre d’affaires a bondi à 1,88 milliard de francs, soit une progression spectaculaire de 35%, due en grande partie à l’acquisition de certaines activités de Swiss Dairy Food, l’ancien numéro un helvétique parti en déconfiture pour n’avoir pas su développer les bons produits.

Cette année, les ventes d’Emmi devraient atteindre 1,945 milliard et permettre une entrée en Bourse au début de 2005. Une véritable consécration pour la société lucernoise qui, il y a quinze ans, n’était encore qu’une petite coopérative cantonale de Suisse centrale.

La marque Emmi avait été inventée en 1949 par l’Union laitière et la Fédération laitière de Lucerne, qui avaient installé une unité de production de yogourts dans la petite ville d’Emmen. C’est ce même nom qui fut choisi en 1993, quand la société engagea un ambitieux processus de modernisation, basée sur un marketing strict et une stratégie d’octroi de licence qui devait lui permettre d’augmenter massivement ses parts de marché au niveau national.

Dans la première partie des années 90, la compagnie se diversifie dans la mozzarella et les desserts (riz au lait, flans, etc.), puis acquiert plusieurs commerces locaux de fromage, une entreprise spécialisée dans la fondue, ainsi qu’une société de distribution en Autriche. Le cap du million est franchi en 1999, ce qui permet à Emmi de perfectionner sa logistique de produits frais et de racheter plusieurs secteurs stratégiques de Swiss Dairy Food.

Pendant toutes ces années, la compagnie lucernoise a déployé des efforts considérables pour son développement à l’étranger, notamment en Allemagne et jusqu’au Japon avec ses yogourts et aux Etats-Unis avec divers fromages à raclette. Symbole de cette internationalisation, le fameux yogourt à l’aloe vera, dont plus des deux tiers de la production sont déjà exportés hors des frontières suisses. Le nouveau directeur, Walter Huber (ex-Motor-Columbus), veut faire du groupe une référence internationale en matière de «functional food», de produits laitiers «lifestyle», destinés à un public urbain.

«Dans les prochaines années, le développement d’Emmi sera clairement tourné vers l’étranger, où nous voyons un potentiel de croissance de 10% par an, alors que le marché suisse n’offre que 1,5 ou 2%», dit Stephan Wehrle.

Les limites du marché national apparaissent d’autant plus clairement à Emmi que la société a signé en 2003 un accord de coopération selon lequel elle prend en charge la production et la distribution de l’ensemble des produits frais de Nestlé Suisse. En contrepartie, la société veveysanne a acquis 4% du capital d’Emmi. Ce qui n’empêche pas les deux «sociétés amies» d’entrer dans une concurrence féroce lorsqu’un nouveau marché se présente.

Depuis quelques semaines, un produit nommé Nescafé Xpress est testé à Zurich, en attendant un lancement massif sur le marché international. Décliné en quatre saveurs caféinées et vendu «prêt- à-boire», il ressemble étrangement à un certain Caffè Latte estampillé Emmi…