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Le shopping partout

Les magasins deviennent des musées, et les musées des magasins. Dans toutes les grandes expos, les produits dérivés rapportent davantage que la vente des billets. Analyse.

«Ferme un magasin aujourd’hui, ouvre-le dans cent ans et tu auras un musée d’art moderne.» Cette prédiction formulée en 1985 par Andy Warhol s’est accomplie plus rapidement que prévu. Le magasin Codec, géré jusqu’en 1978 par la famille Dabadie, est devenu une installation à découvrir au musée Tinguely de Bâle.

L’œuvre restitue dans les moindres détails ce commerce de Mugron (sud de la France) qui, à l’exception des denrées périssables, est resté intact derrière ses portes fermées. Les propriétaires du commerce ont non seulement tout laissé en l’état, mais entretenu leur local au cours des ans. Klaus Littmann, a pris l’initiative de le déménager pour lui offrir une nouvelle vie.

«Le magasin témoigne des relations entre culture et consommation. Des crucifix à côté de jouets, des images saintes à côté de papier de toilette, voilà un aperçu des besoins d’une époque: un arsenal du souvenir, un hiéroglyphe de la société de consommation», écrit l’animateur culturel des bords du Rhin.

Des hiéroglyphes, on en trouve jusqu’à plus soif au musée des antiquités de Bâle qui expose non seulement les admirables trésors de la Vallée des Rois mais aussi toute une gamme d’articles en vente libre.

L’expo «Toutankhamon, l’or de l’au-delà» (document pdf ici), c’est le carton de la saison, une affaire en or. Après la visite des salles, de multiples produits dérivés vous attendent à la sortie: outre les livres, affiches, et cartes postales, on trouve bijoux, foulards, blocs-notes, parchemins, sacs, statuettes, vaisselle et même des läckerli qui, emballés dans des hiéroglyphes, voient leur prix avoisiner ceux du métal précieux.

Plus surprenant encore dans pareil contexte, la bière «Tut-anch-ueli» fabriquée selon une recette très ancienne. «Tout se vend très bien», constate Lilian Lukcki, une des caissières du shop. Vive la marque Toutankhamon!

Pour survivre, de plus en plus de musées se tournent vers le shopping. Les visiteurs laissent plus d’argent à la caisse de la boutique qu’à celle de l’entrée. Pas étonnant que pendant la dernière décennie, aux Etats-Unis, la superficie des salles de musées a augmenté de 3% et celle des boutiques de 29%…

L’architecte hollandais Rem Koolhaas a analysé le phénomène: «Le shopping a, ces vingt dernières années, commencé à investir une quantité d’équipements: aéroports, gares ferroviaires, musées, bases militaires, casinos, «theme parks», bibliothèques, écoles, universités, hôpitaux», écrivait-il dans «cialis regular dose» (Harvard Project on the City).

Une liste à laquelle on peut ajouter les églises. Au terme de ma balade rhénane, sur le chemin de la gare devenue galerie marchande, j’ai découvert un self service à l’intérieur de l’Elisabethen Kirche. Et j’ai appris qu’aux Pays Bas, dans la ville d’Helmond, l’église était devenue un supermarché.

Voilà qui rassurera peut-être les autorités religieuses en proie à des problèmes financiers. Et si l’Eglise protestante du canton de Genève, dont la situation est si précaire qu’elle envisage la vente de certains de ses biens immobiliers, louait la cathédrale St- Pierre à un grand magasin?