CULTURE

C’est Bush qui méritait la Palme

Le jury présidé par Quentin Tarantino a manqué samedi une occasion historique. S’il avait décerné le prix du meilleur acteur à George W. Bush, il aurait pris acte d’une vraie révolution dans la politique-spectacle.

Une curieuse rumeur a commencé à circuler à Cannes à l’approche du palmarès de cette 57e édition. Et si le jury décernait le prix d’interprétation masculine à George W. Bush pour son rôle dans «Fahrenheit 911»? L’idée a d’abord paru gratuite, absurde, à peine amusante. Et puis, en y réfléchissant, on y a trouvé une formidable pertinence. Le président du jury, Quentin Tarantino, y a sans doute pensé. Sa force de conviction et son bagoût de mitraillette lui aurait certainement permis d’entraîner les autres membres du jury dans son choix.

Mais au final, hélas, il a préféré récompenser le réalisateur démagogue, Michael Moore, plutôt que le personnage central de «Fahrenheit 911» — en précisant, avec une argumentation toute jésuitique, que le couronnement de ce film était un choix de cinéma et ne relevait pas de la politique.

L’auteur de «Reservoir Dogs» a manqué de culot. Dommage. Il détenait une occasion unique de saluer la vraie nature du président américain.

Bien plus qu’une provocation, une telle récompense aurait marqué l’histoire en prenant acte, une fois pour toutes, du fait que la présidence américaine est devenue un pur spectacle. Et du moment qu’un documentaire peut recevoir la Palme d’Or, pourquoi son personnage principal n’aurait-il pas les qualification pour prétendre au prix d’interprétation?

Tout ceux qui ont vu «Fahrenheit 911» sont formels: le président américain crève l’écran. A l’aise dans les scènes de comédie, parfois même cabotin, il peut aussi s’aventurer dans le registre tragique, en rajouter dans le pathos, et emballer son public. C’est même son principal talent. Il a intégré, avec toute sa naïveté, les ressorts les plus subtils de la scène. Il sent quand il doit plisser les yeux, plonger son regard dans l’horizon, afficher une mine «concernée». Il sait ménager les silences dans les discours qu’on lui a préparés pour faire croire qu’il en mesure toute la profondeur.

On pourrait presque dire de lui qu’il «fait l’amour à la caméra».

Lui remettre le prix d’interprétation aurait signifié que les professionnels du cinéma ont lu dans son jeu et reconnu son talent. Une manière de lui dire «vous faites le même métier que nous, vous appartenez à notre monde», dans un grand geste compassionnel — un adjectif que Bush apprécie beaucoup.

Accessoirement, ce prix d’interprétation décerné au président aurait aussi apporté une contribution intéressante au débat sur les figurants des documentaires: ils peuvent être considérés comme des acteurs non professionnels. George W. Bush au même titre que les élèves de «Etre et avoir», dont les parents ont engagé un procès contre le documentariste Nicolas Philibert.

Mais surtout, ce prix d’interprétation aurait permis d’incorporer une bonne fois pour toutes le président dans l’industrie du spectacle. Un juste retour des choses, à l’heure où les journalistes de guerre sont embedded et où les photo-reporters remplacés par les appareils numériques des soldats.

Pourquoi hésiter? La scène politique ne s’est pas embarrassée de scrupules quand il s’est agi d’enrôler Ronald Reagan et Arnold Schwartzenegger.