Sur les 195 nationalités officiellement reconnues par les Nations Unies, plus de 160 sont présentes à Lausanne. La cité lémanique est incontestablement devenue une ville cosmopolite. Il suffit de s’y promener pour s’en convaincre. Dans la rue, le français y côtoie gaiement l’espagnol, l’albanais, le turc, le wolof, le mandarin. Dans la quatrième ville de Suisse, plus de 42% de la population était de nationalité étrangère en 2023. Une proportion comparable à Londres (41%) et nettement plus élevée qu’à Paris (15%) ou à Milan (21%).
«Pour une ville de sa taille, Lausanne accueille une importante diversité ethnique et culturelle, résume Luca Pattaroni, spécialiste de la sociologie urbaine et enseignant à l’EPFL. Ce taux s’explique notamment par l’attractivité de la ville en termes de niveau de vie, mais aussi par l’absence de droit du sol en Suisse, qui fait que les résidents étrangers mettent plus de temps à se naturaliser.» La capitale vaudoise se distingue également par la qualité de son vivre-ensemble, grâce à la mixité sociale de ses quartiers: «Contrairement à ce que l’on observe dans certaines villes étrangères avec un degré de diversité comparable, à Lausanne, les classes populaires et moyennes se côtoient, y compris au centre-ville.»
Une diversité célébrée
Cet été encore, le cœur de Lausanne battra au rythme des cultures du monde entier. L’un des derniers rendez-vous en date, Lauz’One Festival (qui se tiendra du 8 au 10 août), a précisément été créé pour inviter les cultures et les communautés à se rencontrer. À l’origine de l’événement, un groupe d’amis provenant des rangs de l’université. «Lausanne est par essence multiculturelle. Nous souhaitions rendre hommage à cette diversité au travers d’un événement gratuit et ouvert à tous les âges», résume Xavier Crépon, membre du comité d’organisation.
La capitale vaudoise est une terre d’accueil depuis fort longtemps: d’abord avec les protestants français fuyant leur pays à la suite du massacre de la Saint-Barthélemy en 1572 et de la révocation de l’Édit de Nantes par Louis XIV un siècle plus tard. L’essor économique du XXe siècle en Suisse a conduit à l’immigration de nombreux travailleurs du sud de l’Europe. Dès les années 1970, la population étrangère atteint 35% dans les banlieues ouest de Lausanne, notamment à Crissier ou à Écublens.
À la même époque, plus de la moitié des étrangers présents en Suisse était d’origine italienne. D’ailleurs, le restaurant lausannois Chez Mario, ouvert à la rue de Bourg en 1958, compte parmi les premières pizzerias du pays. Véritable institution lausannoise, le restaurant se démarque notamment par ses murs tapissés d’un type bien particulier de street art, résultat des dessins et autres graffiti plus ou moins inspirés tracés au fil des ans par les convives à l’aide de gros feutres.

Sylvia Perujo: «Si j’avais grandi en Espagne, je ne serais probablement pas devenue professeure de flamenco»
La fin du XXe siècle a également vu nombre de personnes originaires d’Espagne arriver dans la région. Eux aussi se sont installés sur le bord du Léman en quête de travail et ont durablement marqué la ville de leur empreinte. Sylvia Perujo est l’une des héritières de cette culture ibérique. Née en Suisse de parents andalous, elle codirige avec son frère, Antonio Perujo, l’association Al-Andalus dans laquelle tous deux enseignent le flamenco. Créée dans les années 1990 par leur père Francisco, l’association réunit aujourd’hui près de 400 membres.
Pour Sylvia Perujo, la musique et la danse sont de puissants vecteurs d’intégration et un moyen d’affirmer sa double identité: «Si j’avais grandi en Espagne, je ne serais probablement pas devenue professeure de flamenco.»
Chaque année, l’association Al-Andalus organise la Feria Flamenca, l’un des plus grands rendez-vous des aficionados de flamenco en Suisse romande. La 13e édition a eu lieu les 21 et 22 juin à la salle de spectacles de la ville de Renens. Sur scène, les Perujo ainsi que les danseurs semi-professionnels et les amateurs de la région, y compris les tout petits, ont succédé aux artistes les plus célèbres de la scène flamenca, venus tout droit d’Espagne ou de France pour l’occasion.
Le melting pot de la région lausannoise a indéniablement contribué à enrichir la scène culturelle et culinaire de la ville. «Il est devenu normal de voyager aux quatre coins du monde rien qu’en se baladant en ville. Les gens en ont pris l’habitude, et ils en redemandent.» Mais pour Sylvia Perujo, la diversité n’est pas pour autant réductible à sa dimension festive et gastronomique. «Renens a longtemps traîné une réputation de banlieue dortoir pour les classes populaires. Mais ses habitants ont su y développer la vie de quartier et y attirer les commerces et de magnifiques lieux d’échanges culturels. Aujourd’hui, la notoriété de la ville et son aspect dans l’imaginaire collectif ont complètement changé. Je suis fière de ce que nous y avons accompli.»
Ilir Bytyqi: «Notre communauté a dû faire ses preuves»
Avec près de 3000 représentants en 2023, les Albanais du Kosovo constituent la cinquième communauté de nationalité étrangère en ville de Lausanne, après les Français, les Portugais, les Italiens et les Espagnols. Beaucoup ont fui leur pays d’origine dans les années 1990 alors que la guerre faisait rage en ex-Yougoslavie. Parmi eux, se trouvait Ilir Bytyqi, arrivé en Suisse en 1994. Cette même année, il participe à la création de l’association Ilirët qui entend jouer le rôle de boussole pour les nombreux Kosovars ayant émigré à Lausanne, dont certains, ébranlés par les conflits armés, étaient en manque de repère.
«Le projet était de cultiver notre lien au travers de la danse folklorique, du chant et des mélodies instrumentales», relate l’ancien étudiant en médecine devenu infirmier. Trente ans plus tard, l’association a donné plus de 400 spectacles et compte toujours près de 70 membres actifs, âgés entre 8 et 70 ans. «Beaucoup d’entre eux sont nés et ont grandi en Suisse et font partie intégrante de la société qui a accueilli leurs parents ou grands-parents. Mais l’attachement à leurs racines restent forts.»
Installée dans les locaux du Centre socio-culturel de Grand-Vennes, l’association se réunit tous les vendredis soir pour pratiquer l’art de la danse albanaise. Ilir Bytyqi a bon espoir que cet ancrage attise la curiosité des jeunes du quartier, issus d’horizons divers. «Parfois, on les sent un peu perdus. Mais certains sont venus à notre rencontre et nous rejoignent lors des fêtes. Si nous pouvons contribuer à les aider, c’est pour moi une vraie satisfaction.»
Ilir Bytyqi se réjouit que le regard porté sur sa communauté ait bien changé: «Dans les années 1990 et 2000, l’image des Albanais était souvent associée à certains clichés négatifs relayés par les médias. L’intégration a été un défi. Nous avons dû faire nos preuves. Grâce à la réussite professionnelle de nombreux Albanais et à des initiatives culturelles comme la nôtre, l’image de la communauté est nettement plus positive. Elle est désormais mieux reconnue pour sa contribution à la société suisse, que ce soit dans l’économie, la culture ou le sport.»
Tidiane Diouwara: «La présence africaine a trouvé ses marques à Lausanne»
Le canton de Vaud accueille quelque 24 000 personnes d’origine africaine, notamment d’Érythrée, de République démocratique du Congo et du Cameroun.
Arrivé en Suisse il y a trente ans, à l’âge de 28 ans, le journaliste mauritanien Tidiane Diouwara a fondé le Lausanne Afro Fusions Festival (LAFF) (du 21 au 24 août sur l’esplanade de Montbenon), dont la première édition a eu lieu en 2016.
Aujourd’hui, le Lausannois d’adoption se réjouit de voir que la visibilité des afrodescendants dans la société suisse commence à se renforcer: «Mon bagage académique et ma bonne maîtrise du français m’ont permis d’être assez bien accueilli. J’ai parfois moi aussi pu ressentir des regards pesants par le passé. Certains n’étaient pas habitués à voir un journaliste non blanc dans une rédaction romande. Aujourd’hui, c’est nettement moins fréquent. Les mentalités ont évolué.»
Selon le quinquagénaire, la présence africaine s’est affirmée et a trouvé sa place à Lausanne. «Je le vois à travers l’engouement que suscite le LAFF auprès des Vaudois de toutes origines, aussi bien au sein du public que parmi la septantaine de bénévoles qui donnent de leur temps pour faire vivre le festival. La diversité est aussi plus visible dans les institutions et on croise de plus en plus de couples mixtes dans la rue.»
Cette année, le LAFF célébrera sa dixième édition en reprenant les recettes qui ont fait son succès. Afrobeat, soukouss, mbalax, reggae, rap, reggaeton, le festival met en avant les musiques rythmées et dansantes. «C’est ce que notre public nous demande.» Près d’une vingtaine d’artistes originaires de toute l’Afrique – mais aussi de Suisse – se produiront sur l’une des deux scènes installées au premier plan du somptueux décor alpin offert par l’esplanade de Montbenon. Cette année, le pays invité d’honneur sera le Cap-Vert, patrie de l’incontournable cantatrice Cesária Evora, disparue en 2011.
En marge des concerts, la manifestation accueillera des ateliers de danse, des stands d’artisanat africain, des foodtrucks, et une conférence-débat sur un thème d’actualité. Une fois les concerts terminés, la fête se prolongera avec les afters à la salle des fêtes du Casino de Montbenon.
Une version de cet article réalisé par Large Network est parue dans The Lausanner (no 15).