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Le retour de Bénédict Hentsch

Depuis quelques semaines, le bruit courait dans les salons genevois à la vitesse d’un virus informatique: Bénédict Hentsch envisagerait d’ouvrir une nouvelle banque à son nom. Deux ans après la déconfiture de Swissair, dont il était administrateur, le plus médiatique des banquiers genevois préparerait son retour sur scène sans craindre les retombées judiciaires d’une affaire loin d’être close. Comment expliquer ce retournement?

Il y a deux ans, c’était justement pour épargner la banque qui portait son nom, Darier Hentsch, qu’il avait pris la mesure la plus radicale: la démission. Depuis, ladite banque a fusionné avec Lombard Odier pour donner naissance à LODH, mais dans le dossier Swissair, les responsabilités ne sont toujours pas établies, et la procédure suit son cours. Comment, avec une telle épée de Damoclès sur sa tête, Bénédict Hentsch pourrait-il aujourd’hui revenir aux affaires? Entrera-t-il en concurrence avec ses anciens associés?

En déplacement à l’étranger depuis quelques jours, le principal intéressé n’a pas pu répondre à ces questions, mais son nouvel associé, Robert Pennone, a accepté de lever le voile sur leur projet commun. «Nous avons déposé une demande à la mi-mars auprès de la Commission fédérale des banques (CFB), dit-il. Nous espérons obtenir une réponse positive en juillet, de manière à pouvoir ouvrir en septembre. Je serai président du Conseil, et Bénédict Hentsch dirigera la banque.»

Robert Pennone ne craint pas les conflits entre ce nouvel établissement et LODH. «Bénédict Hentsch a signé un accord avec ses anciens associés selon lequel il a le droit d’ouvrir une nouvelle banque à son nom, pour autant qu’il y ajoute son prénom.» La nouvelle entité s’appellera donc «Banque Bénédict Henstch» et occupera «entre dix et quinze personnes.»

Ce n’est pas la première fois que Robert Pennone, 59 ans, se lance dans une telle opération. Expert comptable de profession, il s’est imposé au cours des années 80 et 90 comme un spécialiste des fusions bancaires, notamment auprès d’Atag, avant de partir pour Prague où il a été l’un des fondateurs de la banque Patria, revendue depuis. En 1997, il obtenait de la Commission fédérale des banques une licence pour la gérance de fortune Cook, qui deviendra ainsi la banque Marcuard. Quand celle-ci a été rachetée par l’Anglo Irish Bank, en 2000, Robert Pennone est revenu à ses premières activités fiduciaires. «Mais je ressentais une sorte de nostalgie», dit-il.

C’est au printemps 2003 qu’il commence à parler d’une collaboration avec celui qu’il appelle «mon ami et client Bénédict Hentsch». Libéré de ses fonctions bancaires, l’ancien associé de Darier Hentsch consacre alors l’essentiel de son temps à la parcelle Tavaro, dans le quartier genevois des Charmilles, une propriété immobilière de sa famille qu’il transformera en parc public. Ensemble, les deux hommes évoquent la possibilité de s’associer dans un nouveau projet lié à la gestion de fortune.

«Ce qui nous a intéressé, c’est le concept de «family governance», raconte Robert Pennone. L’idée est d’aider grandes familles à gérer leur patrimoine de manière globale: comment elles peuvent répartir au mieux leur portefeuille bancaire, leur fortune immobilière et leurs investissements en œuvres d’art.»

La future Banque Bénédict Hentsch sera donc intégrée dans un édifice plus large, une holding baptisée Global Estate Managers (GEM) qui inclura également toutes les activités fiduciaires de Robert Pennone, soit environ 70 personnes. «Les différents services seront répartis sur deux sites, explique-t-il: la holding et le département fiduciaire de GEM occuperont les anciens locaux de l’usine de machines à coudre Elna, sur la parcelle des Charmilles; quant à la banque Bénédict Hentsch, elle reprendra les bureaux et une partie du personnel administratif de la banque Notz Stucki (rachetée par Ferrier-Lullin), à la rue Général-Dufour.»

Pour présider leur Conseil d’administration, les créateurs de GEM ont réussi à convaincre une personnalité de renom, Me François Carrard, ancien directeur général du Comité international olympique. «C’est à la fin de l’année dernière que Robert Pennone et Bénédict Hentsch m’ont présenté leur concept de holding, raconte François Carrard. J’ai tout de suite trouvé leur idée intéressante car elle se distingue des «family offices» traditionnels, qui sont généralement intégrés à des banques.»

François Carrard connaît bien ce marché puisque, depuis environ un an, il préside la succursale suisse du géant Ambrosetti, leader italien du conseil patrimonial aux grandes familles. «Les idées de GEM rejoignent celles du groupe Ambrosetti, c’est pourquoi j’ai trouvé intéressant de les mettre en contact. Il y a une semaine, nous avons ouvert les pourparlers en vue d’une intégration d’Ambrosetti (Suisse) dans la holding GEM. J’ai bon espoir que cela se concrétise, mais rien n’est encore signé.»

L’avocat lausannois ne craint-il pas que l’affaire Swissair, et une éventuelle poursuite pénale à l’encontre de Bénédict Hentsch, ne vienne entacher la création de cette nouvelle entité? «Pas du tout, répond-il. A mon sens, la débâcle de Swissair a surtout été liée à des responsabilités exécutives, et non pas à celles du Conseil d’administration. Bénédict Hentsch est un homme de courage, qui a beaucoup de sens éthique. Je n’ai pas l’amorce d’un soupçon qu’il puisse être inquiété.» François Carrard précise toutefois qu’il n’aura «absolument rien à voir» avec la banque Bénédict Hentsch puisque son rôle de président se situera au niveau de la holding.

Même discours du côté de son confrère genevois Luc Argand, qui a aussi été approché pour participer à GEM. «Bénédict Hentsch m’a proposé de faire partie de la holding. J’ai accepté parce que j’y ai trouvé des gens proches de moi.» Quand à l’éventuelle implication de Bénédict Hentsch dans la procédure post-Swissair, «c’est un problème plus réputationnel que judiciaire. Ça ne concerne pas la holding.»

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Hentsch, septième du nom

Portrait-express du plus flamboyant des banquiers genevois.

Benedict Hentsch, 55 ans, ressemble à un héros de cartoon: toujours enthousiaste, élastique et plein de ressources face aux éléments hostiles. Après des études à Saint-Gall, où il assimile le schwytzertütsch, il bondit au Brésil, y rencontre sa femme puis revient siéger 18 ans dans la banque familiale qui fusionne avec Darier (1991).

Administrateur du Journal de Genève (puis du Temps) et de Swiss Re, il entre au parti radical et siège à Swissair, où il soutient la «hunter strategy» de Bruggisser. Contrairement à d’autres, il assumera ses responsabilités jusqu’au bout. De nombreux ex-employés de Swissair lui gardent d’ailleurs une certaine sympathie.

La presse a abondamment couvert son périple dans l’Himalaya avec Eric Lehmann et sa façade clignotante offerte à l’Uni Dufour: normal, Benedict Hentsch, de la septième génération, est le moins discret des banquiers genevois.

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Une version de cet article est parue dans L’Hebdo du 29 avril 2004.