Comment nos arbres forestiers réagissent-ils au changement climatique ? Une équipe crée des conditions artificielles pour analyser la capacité d’adaptation de différentes essences au climat du futur. Visite d’un écosystème expérimental.
Une version de cet article réalisé par Large Network est parue dans le magazine L’Environnement. Abonnez vous gratuitement ici.
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Les cubes de verre aux allures futuristes du site de l’Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage WSL de Birmensdorf, à Zurich, sont visibles de loin. En s’approchant, on se rend compte que les serres vitrées sont construites de manière à empêcher l’eau de pluie de s’infiltrer. Sur certaines structures, les parois latérales sont légèrement ouvertes afin de contrôler la température. À travers les vitres, on aperçoit des chênes pubescents et des hêtres d’environ 6 ans. Ces installations, des écosystèmes MODOEK, servent de terrain d’expérience.
« Nous nous demandons quelles essences d’arbres sont aptes à affronter l’avenir », explique Marcus Schaub du WSL, responsable de cette installation de recherche en tant que chef du groupe Écophysiologie. Depuis 1992, les chercheurs ont ainsi la possibilité de mesurer les cycles de l’eau, du carbone et des nutriments des arbres au sein de cette expérience. Marcus Schaub ouvre la porte de l’une des serres vitrées et écarte un câble orange afin de mieux voir les petits arbres qu’elle abrite. Seuls certains d’entre eux ont l’aspect de jeunes arbres sains en plein air.
Le hêtre souffre, le chêne se porte bien
Ce projet de recherche a commencé il y a huit ans. Christoph Bachofen, collaborateur scientifique, participe à sa gestion. « Nous voulons découvrir, dans des conditions constantes et contrôlées, comment ces essences de hêtre et de chêne se comportent », explique-t-il. La sécheresse due à la chaleur entraîne un risque croissant pour nos forêts. Toutes les essences ne s’accommodent pas de la hausse des températures et de la baisse des précipitations.
Les chercheurs ont choisi ces arbres pour l’expérimentation parce que l’on sait déjà que la chaleur provoque de graves dommages pour le hêtre au nord des Alpes lors des étés caniculaires. En revanche, le chêne pubescent est une espèce qui s’adapte bien à la sécheresse, puisqu’il pousse en Europe occidentale, centrale et méridionale. « Cette essence remplacera probablement le pin sylvestre à moyen terme en Valais, comme le montre une expérience d’irrigation du WSL dans le Bois de Finges », précise Marcus Schaub.
Pour savoir si cette espèce de chêne est vraiment un arbre d’avenir en Suisse, quatre conditions climatiques sont simulées dans les seize serres situées derrière l’institut de recherche. Dans les quatre serres témoins baptisées « Control », les arbres sont irrigués sans restriction. Comme les serres sont installées sur des bassins en béton, il est possible de mesurer avec précision la teneur en eau du sol. La température dans ces espaces est la même qu’à l’extérieur. Dans quatre autres serres, les arbres ne reçoivent que la moitié de l’eau dont les spécimens ont besoin. Un autre quart des arbres pousse avec une température ambiante supérieure de cinq degrés à celle de l’environnement naturel, garantie en permanence par des ventilateurs de chauffage placés au centre des serres.
Les petits arbres du dernier quart de l’installation sont placés dans des conditions encore plus extrêmes. Non seulement ils reçoivent deux fois moins d’eau, mais ils doivent aussi survivre avec une température de cinq degrés supplémentaires. « Nous voulons savoir ce qui se passerait si ces conditions survenaient au cours des 100 ou 200 prochaines années », explique Christoph Bachofen.
Le manque d’eau comme problème majeur
L’impact de telles conditions sur les arbres est évident : les petits arbres des serres extrêmes, où est simulée une sécheresse thermique, apparaissent chétifs. Ils ne mesurent pas plus de 50 centimètres de haut. Alors que le nombre de feuilles des chênes a diminué, les hêtres ont réduit la taille des leurs. La plupart d’entre eux ont l’air malades. Les bords des feuilles se recourbent légèrement et prennent une teinte brune. Les arbres sont parfois plantés de manière isolée ou par groupes. « Ces différentes combinaisons permettent d’étudier l’effet de la composition des espèces. C’est-à-dire, observer l’effet de la concurrence entre les différents spécimens et établir qui en profite ou qui la subit. »
Ce dispositif sert aussi à mesurer l’entraide potentielle des arbres. En réalité, on en observe aucune. Au contraire, les essences se disputent l’eau à disposition et ce sont les chênes qui gagnent. Un phénomène clairement visible dans la serre suivante, où les arbres reçoivent suffisamment d’eau, mais sont constamment exposés à des températures supérieures de cinq degrés. Marcus Schaub évalue également la croissance des arbres. Ici, les chênes mesurent près de trois mètres de haut – environ deux fois plus que les hêtres. Pourtant, ils n’ont pas l’air de pouvoir survivre longtemps. Leurs tiges sont si fines qu’elles doivent être attachées à un tuteur.
Le facteur temps joue un rôle important
Les chercheurs examinent également l’intérieur de leurs arbres cobayes. Dans les études les plus récentes, Janisse Deluigi, doctorante, vérifie comment la photosynthèse des arbres soumis à l’expérience s’adapte à l’augmentation des températures. Elle observe à quelle vitesse les feuilles peuvent absorber le CO2 et libérer de l’humidité. Cette question est existentielle, car la première réaction des arbres à la chaleur et à la sécheresse est de fermer les stomates de leurs feuilles afin de ne pas perdre trop d’eau. Mais en même temps, elles devraient absorber par les stomates ouverts le CO2 dont elles ont besoin pour la formation de sucre – donc de nourriture pour leur croissance. Ainsi, dans des situations extrêmes, l’arbre se retrouve face à un dilemme : il doit pour ainsi dire décider s’il veut mourir de soif ou de faim.
« La bonne nouvelle des derniers résultats de recherche est que si un arbre a suffisamment de temps, il peut ajuster sa température optimale pour la photosynthèse, explique Christoph Bachofen. Ce seuil est ainsi décalé de 24 à 27 degrés. » Le temps nécessaire pour y parvenir est encore à l’étude. Mais que se passe-t-il si la température moyenne augmente de cinq degrés et que l’arbre n’a pas assez de temps pour s’adapter ? « La forêt pourra globalement s’autoréguler », affirme Marcus Schaub. La forêt est en effet capable de s’adapter naturellement au fil du temps, mais cela s’accompagne d’un risque élevé de perte de performance, impliquant par exemple le déclin de sa fonction protectrice. L’adaptation active grâce à des mesures sylvicoles doit permettre de minimiser cette perte.
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De la parcelle individuelle à l’écosystème entier
La stratégie de la surveillance des forêts du WSL s’applique à différents niveaux. Pour observer l’effet du changement climatique sur les arbres, plusieurs conditions ont été crées. Présentation des différents niveaux de l’expérience.
– Niveau 1 : Expériences avec des plants d’arbres dans des serres climatiques entièrement contrôlées afin de mieux comprendre les mécanismes et les processus en réponse aux conditions environnementales extérieures.
– Niveau 2 : Expériences avec de jeunes arbres dans des serres semi-ouvertes.
– Niveau 3 : Expérience d’irrigation dans le Bois de Finges, prévue sur plus de vingt ans, entre Loèche et Sierre dans le Valais. Les arbres, qui peuvent atteindre 120 ans, sont partiellement irrigués sur un hectare et le déficit de pression de vapeur est réduit, ce qui altère la capacité d’évapotranspiration des plantes.
– Niveau 4 : Depuis 1994, la recherche à long terme sur les écosystèmes forestiers LWF étudie 19 sites sélectionnés en Suisse. Les données relatives à la litière des arbres, à l’état des couronnes, au flux de sève dans le tronc et à la respiration du sol y sont enregistrées.
– Niveau 5 : L’état d’écosystèmes forestiers entiers est enregistré.
– Niveau 6 : Sur la base de données provenant d’échantillons, l’Inventaire forestier national publie notamment des résultats sur la surface forestière, l’accroissement, l’exploitation, la diversité biologique et la qualité des forêts de protection.
– Niveau 7 : Toutes ces données sont rassemblées dans des modèles de prévision afin d’obtenir une image de la forêt du futur.