À la suite de la crise sanitaire et économique sans précédent entraînée par l’apparition du Covid-19 en 2020, la Suisse a su relancer sa croissance et adapter ses modes de travail. Elle dépend toutefois de la santé économique des pays voisins pour les exportations.
«L’économie suisse n’a finalement pas trop souffert du Covid. Aujourd’hui, le pays affiche une santé économique plutôt prospère, la croissance est bonne, sans être ralentie ni surmenée.» Giovanni Ferro Luzzi, professeur d’économie à l’Université de Genève et à la Haute école de gestion de la HES-SO Genève, salue la résilience suisse. «La pandémie a provoqué une crise sociétale majeure, mais pour l’économie, elle n’était pas aussi dévastatrice qu’une crise monétaire. La crise des subprimes en 2008 avait beaucoup plus bouleversé l’économie internationale et nationale des pays occidentaux.»
La Suisse a quand même vécu une période d’inflation: après un pic de 3,5% en 2022, le renchérissement a diminué pour revenir aujourd’hui à environ 1,2%. «La priorité de la BNS est de contenir l’inflation pour maintenir la stabilité des prix.» La banque centrale a ainsi baissé ses taux directeurs dès mars 2024.
La Suisse dépendante de l’économie de ses voisins
L’enjeu repose désormais sur la santé économique des pays voisins. La conjoncture internationale impacte en effet directement la Suisse, qui reste dépendante de ces nations en matière d’import-export. «L’Allemagne, un des principaux partenaires commerciaux de la Suisse, vit actuellement un fort ralentissement de son économie, ainsi qu’une hausse des prix due notamment à la flambée des coûts de l’énergie et l’augmentation des taux directeurs de la Banque centrale européenne (BCE). Sa transition actuelle vers une économie décarbonée ne se fait pas sans heurts. Et ses difficultés deviennent, par effet ricochet, les nôtres.»
Les exportations sont en outre impactées par le franc fort. Le franc suisse a pris 10% de valeur face à l’euro en deux ans, ce qui freine la demande de produits suisses, devenus comparativement plus onéreux. Après une phase de faiblesse au début de l’année 2024, le franc a retrouvé sa force, notamment en raison de la perte de confiance des marchés dans l’euro. Le franc reste en effet une valeur refuge.
Au niveau des matières premières en revanche, les pénuries sont toujours fortes. «Le Covid a créé un goulet d’étranglement sur les importations. Les prix des matériaux se sont donc envolés.» Certains composants, comme le lithium – utilisé pour les batteries de voiture électrique –, ou les matières premières destinées à la construction restent toujours difficilement accessibles.
Transition numérique et environnementale
«Avant la crise du Covid, seules certaines entreprises novatrices testaient le télétravail. Du jour au lendemain, l’expérience a pris une autre envergure: l’ensemble des employés qui en avaient la possibilité sont passés en télétravail», développe Giovanni Ferro Luzzi. Les impacts ont été structurels. Les visioconférences ont remplacé des réunions classiques. «Les gains en termes de productivité et de temps ont été majeurs. Les entreprises ont réalisé qu’elles pouvaient faire confiance à leurs employés. En adoptant des objectifs de rendu plutôt que de pointage horaire, les entreprises de services ont amélioré leur efficience.»
Le télétravail est désormais plus encadré, souvent à deux jours par semaine. «C’est un argument essentiel pour recruter à présent. Les jeunes générations vont considérer l’accès à ce mode de travail comme une condition sine qua non. Et dans une période de pénurie de main d’œuvre, ce sont véritablement les candidats qui tiennent le couteau par le manche.» Cette tendance est renforcée par la transition démographique. «Les baby-boomers seront tous partis à la retraite d’ici 2028. Le défi d’attirer et de garder des collaborateurs qualifiés se révèle donc primordial.»
Et tous les secteurs sont concernés. «La transition numérique – qui est plus rapide qu’imaginée – et celle démographique avaient déjà pris racine avant la crise du Covid, complète le professeur. Ces transitions fondamentales vont impliquer la création de nouveaux métiers. Il va falloir former et accompagner les nouvelles générations à ces innovations professionnelles.»
Giovanni Ferro Luzzi souligne également l’importance de considérer le taux de chômage. «La proportion de personnes sans emploi ainsi que la durée du chômage sont des indicateurs clés de la santé économique. La Suisse peut encore se targuer de bons scores en la matière.» Avec un taux d’environ 4% de chômage selon le Secrétariat d’État à l’économie (SECO), la Suisse est en bonne posture en comparaison internationale.
L’impact des aides publiques
«Nous avons tourné la page du Covid parce que la politique en Suisse a été suffisamment couvrante. Les entreprises les plus malmenées ont été correctement aidées, ce qui a maintenu l’économie.» Le professeur Giovanni Ferro Luzzi reste cependant divisé sur les outils. «Les prêts Covid ont été largement utilisés pour rembourser des prêts antérieurs. Tous les bénéficiaires n’avaient pas ce besoin urgent de liquidité. En revanche, les RHT ont été particulièrement efficaces. Ils ont maintenu l’emploi et évité la faillite à de nombreuses entreprises forcées de tourner au ralenti.» À Genève, l’État a également accordé des aides à fonds perdus. Aujourd’hui, près de 55% des entreprises qui ont eu recours à ces soutiens d’urgence n’ont toujours pas remboursé leur emprunt.
Depuis trois ans, le nombre de faillites est en hausse ininterrompue. En 2023, près de 15’500 procédures ont été ouvertes, un nouveau record, selon l’Office fédéral de la statistique (OFS). Le rythme s’est néanmoins ralenti avec une hausse de 2,9% par rapport à 2022, contre 6,6% d’augmentation en 2022 et 9,1% en 2021. L’année 2020 a compté moins de cessations d’activité grâce aux mesures du Conseil fédéral, mais il ne s’agissait que d’un sursis. L’année 2024 s’annonce en outre particulièrement difficile: sur les quatre premiers mois, le nombre de faillites en Suisse romande a déjà augmenté de 18% en comparaison de la même période l’année dernière, selon les relevés du cabinet Dun & Bradstreet.
Une situation qui se stabilise
Certains secteurs ont été plus touchés que d’autres. L’hôtellerie-restauration a particulièrement souffert de l’arrêt du tourisme. Mais le commerce de détail a vécu lui aussi un tournant. «Les consommateurs ont dû apprendre à acheter en ligne. Les plus réfractaires ont découvert et se sont familiarisés avec ces nouveaux modes d’achats et ont désormais pris l’habitude de commander en ligne.» Ainsi, en 2021, 84% des Suisses ont acheté un produit sur internet, majoritairement des vêtements et des chaussures, mais aussi des livraisons de plats à domicile, selon une enquête Eurostat, l’institut statistique de l’Union européenne (UE).
Au niveau du tourisme, la situation est revenue à la normale. «Pendant les confinements, les voyages en avion ont été stoppés, on pariait sur l’avènement des vacances locales, la chute des compagnies aériennes, dit Giovanni Ferro Luzzi. Mais la réouverture des frontières a totalement relancé le trafic aérien.»
L’analyse des conséquences de la crise du Covid n’en est néanmoins qu’à ses prémices. «La pandémie a constitué un événement exceptionnel, qui a bouleversé toutes les strates de l’économie et provoqué des réactions parfois démesurées. Depuis, chaque année a montré différents effets secondaires. Il est intéressant de gagner du recul pour étudier la question.»
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Une version de cet article réalisé par Large Network est parue dans Blick.