LATITUDES

Automobile: la tendance lourde

Les voitures sont de plus en plus massives. En cause: la mode des SUV et les évolutions en matière de normes de sécurité et de confort – au risque de mettre en danger les autres automobilistes.

Dans les années 1990, les voitures pesaient environ 900 kilos. Aujourd’hui, elles ont atteint les 1’250 kilos en moyenne. Cette prise de poids en constante progression s’explique notamment par le perfectionnement des systèmes de sécurité. «La sécurité des voitures s’est nettement améliorée, et notamment les questions de sécurité passive, autrement dit pour les autres passagers, explique Raphael Murri, directeur de l’Institut pour la recherche sur l’énergie et la mobilité (IEM) de la Haute école spécialisée bernoise. La zone de déformation, qui représente les espaces comprimés en cas d’accident, est aujourd’hui conçue pour répondre à des exigences supérieures et l’habitacle, en tant qu’espace de survie, est devenu beaucoup plus solide, comme par exemple sur les protections latérales. Tout cela signifie que les carrosseries sont plus épaisses et donc plus lourdes.» Autres facteurs de surcharge: des designs plus massifs, des améliorations en matière de confort et l’électrification du parc automobile – une batterie pesant plus lourd qu’un moteur et son réservoir.

Or cet alourdissement entraîne un cercle vicieux, puisqu’il faut alors renforcer la motorisation ainsi que les systèmes de traction et de freinage, ce qui ajoute du poids. Ainsi, 100 kilos d’équipements supplémentaires conduisent à alourdir le véhicule de 200 kilos, selon les études de la revue scientifique spécialisée «Transports urbains». Les dimensions des automobiles tendent également à grandir: depuis les années 1960, les voitures ont augmenté de 21% en hauteur, 14% en largeur et 3% en longueur, selon une étude l’École Polytechnique française. Plus massives, les grosses voitures ont une résistance au vent accrue, ce qui demande davantage d’énergie et augmente donc leur consommation. Les véhicules électriques sont aussi particulièrement lourds, «mais récupèrent au moins une part de l’énergie, ce qui diminue la consommation globale».

La mode des SUV

«La tendance est malheureusement aux voitures imposantes. Les SUV et les 4×4 sont en tête des ventes et la clientèle suisse cherche globalement une forte motorisation.» En Suisse, la motorisation moyenne est en effet de 143 chevaux, alors que la moyenne européenne est à 111 chevaux. Ainsi en 2023, les voitures les plus achetées en Suisse étaient la Tesla Model Y, la Skoda Enyak et la Octavia, suivies d’une Audi Q3 et du Volswagen Tiguan, selon Auto-Suisse. Les SUV, tous segments confondus, ont représenté près de 50 % des nouvelles immatriculations en 2023.

Pourquoi cette tendance? «Conduire une grosse voiture apporte un sentiment de sécurité, dit l’expert. Le conducteur est plus haut que les autres véhicules, il se sent protégé. La question du prestige compte également, une grosse voiture étant encore largement associée à la réussite.» Une mode déplorable selon Raphael Murri. «Nous devons inverser cette tendance et revenir à des voitures de taille proportionnée. Dans la majorité des cas en Suisse, les gros véhicules ne sont utilisés qu’en cas exceptionnels, pour aller à la montagne de temps en temps en hiver par exemple. Il faut inverser le schéma de pensée, et choisir – s’il n’y a pas d’autres options de mobilité plus douces – une automobile pour le quotidien. Et pour circuler en ville, une petite voiture suffit.»

Danger public

Polluantes et encombrantes, les voitures lourdes posent également un problème de sécurité routière. «Les modèles actuels deviennent incompatibles avec les petits et les anciens véhicules. Sur la route, des petites voitures légères cohabitent avec des mastodontes de trois tonnes. Sachant que l’énergie cinétique, qui détermine la violence d’une collision, dépend de la vitesse et du poids, en cas d’accident, le combat et joué d’avance. Les crash-tests montrent qu’une petite voiture qui percute un SUV moderne est projetée en arrière comme une balle de ping-pong.» Pour le directeur en mécanique et sécurité des véhicules, cette disparité signifie que la route est devenue plus dangereuse pour les petites automobiles.

Aujourd’hui, la limite de poids pour les voitures de tourisme est fixée à 3,5 tonnes. Au-delà, les conducteurs doivent être détenteurs d’un autre permis de conduire et verser une redevance poids lourds. Ce garde-fou est aujourd’hui remis en cause par le Parti bourgeois-démocratique suisse – qui a déposé une motion afin d’augmenter ce seuil à 4,25 tonnes pour les véhicules à propulsion alternative. De nouveaux modèles dépassent en effet le seuil actuel, à l’instar du Tesla Cybertruck. «Une demande incompréhensible et totalement à contre-courant, répond l’expert. Il faut plutôt rendre les gros véhicules moins attractifs, en taxant l’achat par exemple, ou le stationnement. Il y a un réel besoin de réglementation de la part de l’Office fédéral des routes.»

Pour limiter la pollution et l’encombrement urbain, certaines villes ont déjà pris des mesures, à l’instar de Paris, où les véhicules thermiques de plus d’1,6 tonne et les électriques de plus de 2 tonnes devront désormais s’acquitter d’un tarif de stationnement triplé en centre-ville. Et l’idée séduit: à Bâle, dès le 1er janvier 2025, les cartes de stationnement pour les automobiles de grande taille seront plus chères. À Lausanne, un postulat a été déposé en début d’année par Ensemble à Gauche afin d’augmenter le prix du stationnement pour les SUV.

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Une version de cet article réalisé par Large Network est parue dans la Tribune de Genève.