Délicieux, attachant, burlesque et souvent hilarant, le nouveau film de Pierre Salvadori démontre que le rire n’est plus indigne dans le cinéma d’auteur. Probablement la meilleure comédie française de l’année.
En France, la bonne nouvelle cinématographique de 2003, c’est le retour à la comédie d’auteur telle qu’on la connaissait dans les années 70 avec Yves Robert et Bertrand Blier. Un genre boudé par les deux décennies suivantes, soit que les auteurs jugeaient le rire indigne d’eux, soit que la comédie était laissée aux mains de quelques tâcherons lourdingues.
Il a fallu attendre le tandem Jaoui/Bacri, au milieu des années 90, pour que soit levée la malédiction et que le succès arrive. Depuis, il ne se dément plus: Tonie Marshall avec «France Boutique», Noémie Lvosky avec «Les Sentiments», Philippe Le Guay avec «Le Coût de la vie», Alain Resnais avec «Pas sur la bouche», et maintenant Pierre Salvadori avec «Après vous». Les comédies d’auteur, d’un très bon rapport qualité/prix, se classent désormais parmi les films français les plus rentables.
Pierre Salvadori («Les Apprentis») aime bien les tandems masculins. Mais à la différence d’un Francis Veber, créateur d’univers exclusivement virils, il sait laisser aux femmes une place originale, à l’image de «Comme elle respire» avec Marie Trintignant. Autre similitude: Salvadori comme Veber s’appuie sur des scénarios verrouillés, très bien écrits, d’une mécanique irréprochable. Sauf que là où Francis Veber entend raconter une histoire, Salvadori, lui, préfère construire des situations et les porter jusqu’à leur épuisement, d’absurde ou d’émotion. Plus gagman que conteur.
«Après vous» comprend donc une dizaine de scènes formidables, certaines d’anthologie. Mises bout à bout, ces séquences donnent une comédie délicieuse et attachante, burlesque, hilarante très souvent, mais toujours un peu discontinue. Autant le rythme d’une seule scène est excellent, autant l’ensemble peut souffrir de relâchement. C’est la seule réserve que l’on peut faire au film de Pierre Salvadori, réserve qui vaut pour l’ensemble de son œuvre.
«Après vous» commence comme «L’Emmerdeur», un homme en sauve un autre qui ne va cesser par la suite de lui poser des problèmes et de lui défaire sa vie. Le sauvé est joué par José Garcia, excellent en auguste retenu; le sauveur par Daniel Auteuil qui retrouve ainsi un emploi souriant après plusieurs films particulièrement sombres.
Entre les deux hommes, une femme, Sandrine Kiberlain (une puissance comique incontestable), dont les deux sont amoureux. Comment vivre son désir sans blesser celui de l’autre? Comment aider quelqu’un sans devenir son obligé? Comment faire son deuil sans renoncer à la vie? Comment rebondir après un échec? A quoi reconnaît-on la fin d’un amour? Quelles fleurs offrir à une fleuriste? Et avec quelle viande servir le Sancerre?
Telles sont quelques unes des questions posées dans «Après vous», dont le titre de travail était «Fleur de peau» — un intitulé justifié au vu de l’émotion frissonnante que suscite une des scènes clés du film, celle où Daniel Auteuil et Sandrine Kiberlain se déclarent leur amour en décrivant dans le détail, et par la dénégation, leur étreinte de la veille.
Dans «Après vous», tous les personnages sont dépassés par les événements. Ils ne voient rien venir. Et surtout pas le sentiment amoureux. C’est ainsi qu’Antoine (Daniel Auteuil), maître d’hôtel débordé, ne peut être que dans l’action. Son personnage, complexe pour une comédie française, se révèle au gré de ses faits et gestes, lesquels expriment ce que lui est bien incapable de reconnaître. Le spectateur sait donc avant les personnages ce qui va arriver, mais jamais comment cela va arriver, d’où un certain suspens émotionnel. Suspens entretenu jusqu’à la fin.
A l’inverse, l’humour survient toujours de manière abrupte. Salvadori ménage plusieurs effets de surprise, y compris dans la répétition (les meilleures phrases des uns reviennent dans la bouches des autres). Mais là où Salvadori excelle, c’est dans l’écriture des gags, dont il épuise tous les potentiels. Fous rires garantis devant la scène de l’entretien d’embauche, du Laurel et Hardy, ou celle du restaurant traitée comme un vaudeville à la Feydeau.
Si on fait abstraction de «Pas sur la bouche» d’Alain Resnais, œuvre trop atypique pour figurer dans un classement, «Après vous» pourrait bien être la meilleure comédie française de l’année. Très différents l’un de l’autre, les deux films ont pourtant des points communs: l’utilisation des ombres chinoises pour introduire un personnage et le sort cruel réservé aux homards.