CULTURE

Lausanne fait son cinéma

De la Cinémathèque à La Manufacture, de festivals en boîtes de production, la scène lausannoise est dynamique et brille au-delà des frontières romandes.

La capitale vaudoise aime le 7e art. Installée à Lausanne depuis sa création en 1948, la Cinémathèque suisse fait de la ville un haut lieu du cinéma. Elle abrite la 6e collection au monde de films et d’artefacts en lien avec le cinéma, ainsi que la plus grande salle du pays, le Capitole, qui rouvre ses portes en février, après trois ans de travaux.

Depuis 2018, chaque mois de mars, la ville déroule aussi le tapis rouge pour les nombreuses célébrités internationales invitées aux Rencontres 7e Art Lausanne, le festival créé par l’acteur romand Vincent Perez. La passion pour le grand écran vibre aussi et surtout grâce à un écosystème de personnalités, actrices, acteurs, réalisatrices, réalisateurs, boîtes de production qui font de Lausanne un centre de compétences cinématographiques. Plusieurs générations de cinéastes y sont à l’œuvre avec succès, dont Ursula Meier, Stéphanie Chuat et Véronique Reymond. Et si certains ont tenté leur chance ailleurs, comme le comédien Carlos Leal, ils contribuent à faire rayonner les bords du Léman à l’international.

Le monde du cinéma comprend aussi la formation, notamment à l’École cantonale d’art de Lausanne (ECAL) et à La Manufacture, sans oublier que l’Université de Lausanne propose la seule section d’histoire et d’esthétique du cinéma de Suisse romande.

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Un lieu pour vivre le cinéma

Plus grande salle de cinéma du pays, le Capitole rouvre ses portes en février. L’établissement presque centenaire, qui abritera dorénavant la Cinémathèque suisse, a été doté d’une deuxième salle de projection, d’une librairie et d’un café.

La Cinémathèque suisse, qui vient de célébrer son 75e  anniversaire, va bientôt quitter le Casino de Montbenon pour s’installer dans son nouvel écrin, le Capitole, à l’avenue du Théâtre. Plus grand cinéma historique de Suisse, construit en 1928, le Capitole a été entièrement renové et agrandi. Il disposera désormais de sa salle d’origine avec 750 places, mais aussi d’une nouvelle salle de projection, au sous-sol, de 150 places. Les travaux ont aussi permis de le doter d’un ascenseur, d’un café ouvert à tous, d’une médiathèque où il sera possible de consulter les fonds de la Cinémathèque et d’une librairie spécialisée qui proposera livres, disques Blu-ray ou encore affiches consacrées au 7e art. Rénové une première fois en 1959, le Capitole conservera en 2024 son éclat d’antan. La déco des années 1950, les grands lustres de Murano, les appliques murales, le bar: tout revient à l’identique. Les toilettes – ultime témoignage de 1928 – ont également été réhabilitées. Mais l’entier du bâtiment est désormais truffé de technologies.

Agendée au 24 février 2024, la réouverture de ce lieu mythique, qui a vu défiler des stars du monde entier, d’Erich von Stroheim à Audrey Hepburn, venue en voisine avec son mari, l’acteur Mel Ferrer, en 1966, d’Anouk Aimée à Wim Wenders, constitue l’aboutissement d’un travail de longue haleine mené par Frédéric Maire, directeur de l’institution depuis 2009. «Dès mon arrivée, j’ai réfléchi à une salle spécifiquement dédiée à la Cinémathèque, explique-t-il. La salle du Cinématographe à Montbenon n’avait pas véritablement d’identité et sa voisine, la salle Paderewski, est une salle polyvalente.»

C’est à Locarno en 2005, alors qu’il était directeur du festival, que Frédéric Maire rencontre Lucienne Schnegg, gérante du Capitole depuis 1956. Pour assister à la présentation du documentaire de Jacqueline Veuve, La Petite Dame du Capitole, qui lui était dédié, elle avait exceptionnellement fermé son cinéma. «À mon retour à Lausanne, Lucienne Schnegg m’annonce qu’elle souhaite vendre, mais avec la garantie que le Capitole restera un cinéma. Très vite, les négociations mènent au rachat de la salle en 2010 par la Ville de Lausanne.»

L’expérience vintage

Quant à la programmation, Frédéric Maire entend «agir dans la continuité et poursuivre les partenariats, notamment avec le festival Rencontres 7e Art Lausanne, projeter des films du patrimoine, du cinéma suisse et des avant-premières, comme le film Monster dans le cadre de la rétrospective consacrée au musicien et comédien Ryuichi Sakamoto. Je peux aussi annoncer un grand hommage à Jeanne Moreau, notamment en tant que réalisatrice. Ces films ne trouvent souvent pas de salle pour continuer leur diffusion, nous pourrons donc dorénavant les projeter au Capitole.»

Promis à un brillant avenir, après avoir vécu l’âge d’or du cinéma, le Capitole sera «un vrai lieu pour vivre le cinéma», ajoute son directeur: «Il s’y passera toujours quelque chose d’intéressant. Le spectateur s’y rendra autant pour voir des films que pour ‘ l’expérience Capitole ’. Voir un film dans une vraie salle de cinéma bientôt centenaire, ce n’est pas comme le faire dans un multiplex. Nous avons déjà accueilli de jeunes spectateurs venus pour vivre une expérience vintage, non seulement pour les films, mais aussi pour le lieu. Nous nous devons de défendre le cinéma et son histoire, et au Capitole, tout est réuni.»

L’une des plus riches collections au monde

Au centre d’un réseau de recherches et d’échanges au niveau national et international, la Cinémathèque suisse fait partie des dix plus importantes cinémathèques du monde par la richesse de son patrimoine. Lausanne a par ailleurs accueilli plusieurs fois les congrès de la Fédération internationale des archives du film (FIAF).

Les missions de la Cinémathèque sont la conservation et restauration de sa collection de plus de 10 millions d’objets, ainsi que la mise en valeur de ce patrimoine. À cet effet, un centre de recherche et d’archivage a été inauguré en 2019 à Penthaz, à une quinzaine de kilomètres de Lausanne. «Cela nous a permis de devenir l’un des centres les plus performants au monde et a doté la Cinémathèque d’un outil à la pointe de la technologie.» Y sont conservés quelque 85 000 films, ainsi que des scénarios, des affiches, des publications, des décors, etc. Réparties sur des supports extrêmement variés, les collections représentent un énorme défi en matière de conservation.

Entamée depuis plusieurs années, la numérisation des archives a pour but de les préserver et de les rendre accessibles en ligne. Frédéric Maire s’en réjouit: «Grâce au digital, les films du patrimoine constituent désormais un nouveau marché. Des films qu’on ne pouvait plus voir, car ils n’existaient que sur pellicule, sont disponibles en version restaurée et numérisée. Et il y a un réel intérêt des publics de tous les âges pour le cinéma d’hier. D’autre part, le Capitole reste l’une des très rares salles en Suisse à pouvoir projeter des copies de vieux films restaurés, ou de films récents, en pellicule 35 mm, et bientôt même en 70 mm.»

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Le charme des cinémas indépendants

À côté des grands multiplexes, plusieurs salles intimistes offrent un programme riche aux cinéphiles.

Cinéma Bellevaux: Depuis 1959, la salle du Cinéma Bellevaux sert d’écrin à des films d’art et d’essai, des spectacles et conférences en lien avec les arts sonores et visuels.

Zinéma: Ouvert en 2001, le miniplex d’art et d’essai Zinéma propose également des projections privées à la demande (pour 5 à 15 personnes).

Oblò: Le cinéma Oblò projette, depuis 2003, des documentaires, courts métrages, films d’animation et films à petit budget. Il met aussi en lumière les productions suisses.

CityClub: Fondé en 1958, le cinéma CityClub de Pully avait failli disparaître en 2011. Sauvé par l’association qui le gère toujours aujourd’hui, il propose, dans sa salle de 200 places, des films inédits, des rencontres, des ciné-concerts et des séances pour enfants ou seniors.

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Le nouveau Cinématographe

Après le départ de la Cinémathèque du Casino de Montbenon et de sa salle du Cinématographe, la gestion de cette dernière a été confiée à un jeune collectif composé de Meli Boss, Faye Corthésy, Gysèle Giannuzzi et Alice Riva. Pour se faire une place dans l’écosystème lausannois, le Cinématographe proposera dès février-mars 2024 une programmation diversifiée, un mélange de nouveautés et de reprises, de films indépendants et d’auteurs, à l’attention de tous les publics, notamment des groupes scolaires et des seniors. «Nous souhaitons privilégier des films qui font écho à nos valeurs d‘inclusivité, de justice sociale et environnementale et qui pourront donner lieu à des réflexions. L’accent sera mis sur la médiation pour faire du Cinématographe un lieu de rencontres et d’échanges, annonce Faye Corthésy. On ne veut pas être un cinéma de niche, mais attirer un public varié et pour cela, nous allons mettre en place des stratégies différentes.»

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Des réalisateurs et acteurs de renom

Ursula Meier: La réalisatrice a cofondé en 2009 à Lausanne la maison de production et distribution Bande à part Films avec Lionel Baier, Jean-Stéphane Bron et Frédéric Mermoud.

Basil Da Cunha: Cinéaste qui a présenté, en 2023, son troisième long métrage, Manga D’Terra, en compétition au Festival de Locarno.

Kacey Mottet-Klein: Acteur né à Lausanne en 1998 et révélé enfant par Home d’Ursula Meier. Depuis, il enchaîne les tournages et a, entre autres, donné la réplique à Catherine Deneuve, Isabelle Huppert, Fabrice Luchini ou encore, dans Last Dance, en 2022, à François Berléand.

Lionel Baier: Cinéaste lausannois, directeur du Département réalisation de la Fémis à Paris.

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Une école de cascade

En quarante-cinq ans de carrière, le cascadeur lausannois Pavel Jancik a chorégraphié les combats de plus de 120 films, dont le James Bond Quantum of Solace, et 400 pièces de théâtre. Il a ouvert en octobre l’Académie européenne de la cascade (AEC) au Palais de Beaulieu. Elle accueille, dès 12 ans, amateurs et professionnels du cinéma et dispense également des cours de self-défense.

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Une version de cet article réalisé par Large Network est parue dans The Lausanner (n° 12).