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Un temps de cochon, au sens propre

Le porc est au menu du jour. D’un côté, il déclenche une affaire diplomatique entre la Roumanie et l’Union européenne. De l’autre, il anime la polémique entre les paysans suisses et l’avocat Charles Poncet.

Avec les brouillards de novembre, le cochon, quel que soit le sens ou les sous-entendus dont on le charge, est de saison. Les paysans qui ont fait boucherie pour remplir leurs congélateurs ou orner leurs greniers de chaînes affriolantes de saucisses en tous genres sont bien placés pour le savoir.

N’était-ce pas à la Saint-Martin qu’après avoir fini les travaux des champs et, autrefois, réglé les premiers paiements, redevances et loyers, ils se mettaient à table en famille pour festoyer en dégustant boudins, saucisses et autres rôtis de porc? Aujourd’hui encore, la Saint-Martin ajoulote connaît une vogue qui permet à tous les fans de nouvelle cuisine d’aller, le temps d’un gargantuesque dimanche imbibé de damassine, se refaire une belle provision de cette bonne graisse qui oindra le reste de l’année leurs trois rondelles de carottes Vichy quotidiennes.

Mais pour offrir de telles bombances, encore faut-il avoir le droit de tuer le cochon. Depuis quelques jours, la Roumanie est en ébullition parce que les paysans du cru tiennent à défendre leurs traditions face aux prétentions européennes. Ne craignez rien, ils ne veulent pas concurrencer notre secret bancaire. Non! Ils tiennent simplement à pouvoir tuer le cochon comme il le font depuis des siècles dans la cour de la ferme.

Bruxelles voudrait qu’on les exécute sous anesthésie dans des abattoirs. Quelle horreur! «Si c’est ça l’Union européenne, moi je n’en veux plus», dit Victor Ban, un agriculteur de Magura dans le sud du pays, à l’AFP. «La fête de Noël ne sera plus la même si je ne peux plus tuer le cochon comme je le fais depuis toujours», ajoute-t-il.

Soucieux de ménager la sensibilité des électeurs, même au risque de froisser Bruxelles, les politiques n’ont pas tardé à intervenir dans la polémique. Pour le député Petre Posea, «un Roumain qui ne fait pas du saucisson et du boudin à Noël n’est pas un vrai Roumain». Le ministre de l’Agriculture a senti venir le danger — la Roumanie votera l’an prochain — et s’est cherché une couverture imparable en s’adressant à la haute hiérarchie de l’Eglise orthodoxe pour lui demander de préciser si le sacrifice des cochons à l’occasion de Noël représente une coutume religieuse. En cas de réponse positive, il pourrait demander une dérogation à l’UE. Si l’Eglise dit non, les popes trinqueront.

En Suisse romande, on tue de moins en moins de cochons dans les fermes, mais le symbole demeure. Le 26 novembre, les paysans en colère contre Charles Poncet, l’avocat qui osa traiter dans L’Hebdo l’agriculture helvétique de vieille catin ridée, surent faire preuve d’originalité. Au lieu de déverser sur le pas de porte de son étude le traditionnel tombereau de fumier, ils y déposèrent délicatement la statue dorée d’un cochon gros et gras symbolisant selon Fernand Cuche, leur leader, le «Poncet agro-business international food». Foin de grossièreté, le paysan suisse, même subventionné, sait aussi faire dans la dentelle. Cochon qui s’en dédit!

La dentelle, les intellectuels la connaissent aussi. Ainsi, les fins gourmets aux fines plumes — écrivains, journalistes, bibliothécaires — qui animent les cialis uk cheap publient ces jours-ci un superbe «A-B-Cédaire porcinophile» qui en vingt-quatre articles illustrés ne nous cèle rien ou presque des tribulations littéraires et culturelles du cochon.

Cela me permet de signaler aux historiens militaires que l’illustre Vauban, constructeur de forteresses inexpugnables et auteur de savant traités sur la défense desdites forteresses, finit sa vie dans la disgrâce et le cochon. De cet élevage, il ne put s’empêcher de passer à la théorie et écrivit une traité joliment intitulé «Ma cochonnerie» dans lequel il s’amuse à calculer la descendance d’une truie sur douze ans et arrive, en bon ingénieur, au remarquable total de 6.434.838 héritiers.

Six millions et demis de petits cochons roses en douze ans, cela a de quoi laisser songeur! Six millions et demi de petits groins qui, comme nous l’explique Paul Fournel à la lettre G comme Groin, représentent pour le cochon l’organe par excellence:

«On le voit de toute son énergie pousser le groin sous les mottes, pousser le groin sous les équevilles, pousser le groin dans la tourbe, s’enfoncer jusqu’à la queue dans la fange, dans l’espoir d’un tubercule, dans l’hystérie d’une truffe. Peu d’être vivants connaissent cette volupté (…) Le cochon met là sa survie et son espoir. C’est également le siège de son invétéré romantisme: «fouir, là-bas fouir». C’est aussi l’organe vrai de ses passions amoureuses, le groin de folie, le groin de fantaisie.»

Du cinéma à la littérature, de la table à l’injure, le cochon ne cesse d’inspirer notre quotidienneté. Aussi à la lettre O comme «Ô porc», Alain Chevrier, émule de Georges Pérec, lui dédie un éloge en mots monosyllabiques:

«On fait de toi cent plats. On te frit, on te cuit au four, dans de l’eau, sur le gril, au feu de bois: steak, rôt, porc vert-pré, porc aux choux, porc au riz, porc au miel, à l’ail, au jus, au chop suey, au nuoc-mâm.

Et l’on boit sur tout ça des bocks, ou du vin blanc, ou du thé.

Quand j’ai eu six ou sept ans, j’ai vu ce qu’on fait quand on te tue, et c’est très dur! Ce fut un choc. Tu es là. Tu le sens, tu le sais: on va te tuer. Tu veux fuir, mais c’est trop tard. On te fout des coups sur le groin ou dans le dos. Tu rues: on te lies les pieds. Tu gis sur le sol. Ton cœur bat très fort. Tu cries tel un porc qu’on va tuer (grouik! grouik!), mais en vain. D’un coup sec, un grand gars te fend la peau du cou. Par ce trou sort ton jet de sang. Tout ton sang sort à flots: on le met dans un seau en vue de plus tard…»

Chevrier devrait envoyer un exemplaire de sa prose aux paysans roumains. Pour leur remonter le moral.

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«A-B-Cédaire porcinophile», publiés par les Bibliothèques gourmandes aux Editions Virgile à Dijon. 126 pages.