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Les dents longues et dures, mais ultra blanches

Même si les frères Coen n’en sont pas les auteurs (mais ils ont réécrit le scénario et ont eu droit au final cut), «Intolérable Cruauté» leur ressemble: mise en scène élégante et très référentielle – en vrac, Frank Capra, Howard Hawks, George Cukor, les Marx Brothers – pour une comédie romantique qui résiste à toute forme de sentimentalité. A l’émotion induite par le genre, les deux frangins préfèrent l’humour vachard, les situations grotesques et la satire sociale.

Cela n’empêche pas le film des Coen d’être très sexy. Fondamentale contradiction? Pas du tout! Il suffit de se souvenir de «Certains l’aiment chaud», sublime mélange de burlesque et de glamour. Sans vouloir le comparer au chef-d’œuvre de Billy Wilder, «Intolérable Cruauté» réussit un coup de génie: réunir les deux acteurs les plus désirables de ces dix dernières années, les plus adultes physiquement: George Clooney et Catherine Zeta-Jones.

Les deux comédiens – loin de la tendance adulescente du cinéma américain – forment un couple dans la plus pure tradition des comédies des années quarante. Lui en Cary Grant; elle en Carole Lombard.

Pour la première fois, Joel et Ethan Coen ne s’intéressent pas aux ploucs et losers de l’Amérique profonde mais à ses gagnants, des héros nantis qui révèlent, au même titre que leurs cousins mal dégrossis d’ailleurs, les excès, dysfonctionnements et ridicules de la société américaine.

Ici, l’insondable cynisme, futilité et vanité d’une Californie confite dans son narcissisme, berceau de l’industrie des images, hollywoodiennes ou télévisuelles. Mais aussi l’artifice d’une ville comme Las Vegas, décor pompeux et pompier où l’amour se joue à la loterie, où l’on se marie et divorce au gré des gains obtenus aux machines à sous.

Loin de condamner moralement l’univers qu’ils décrivent, les frères Coen en épuisent le potentiel comique: vaudeville, cartoon, truculence des situations, gags à répétition, musique ironiquement utilisée (Simon and Garfunkel comme hymne matrimonial!) et personnages secondaires extravagants comme ce baron homosexuel helvétique – il vient du canton de Uri – amoureux de son caniche; ce producteur de télévision cocu (Geoffrey Rush) qui se fait planter dans l’arrière train son trophée le plus précieux; ces quadragénaires liposucées oisives mais surbookées; ce détective gras du bide, obsédé par l’idée de niquer les amants illégitimes ou ce magnat du pétrole qui, en guise de preuve d’amour, avale en public le contrat de mariage qui le protège des appétits d’argent de sa femme.

Dans «Intolérable Cruauté», le grivois côtoie en permanence la subtilité.

Donc, la famille des arrivistes californiens est divisée en deux espèces distinctes: les vieux milliardaires puérils et leurs jeunes épouses vénales qui attendent patiemment la première infidélité de leurs croulants pour empocher de somptueuses indemnités. A Beverly Hills, le divorce est un commerce juteux. Le premier pris en flagrant délit d’adultère laisse sa fortune à l’autre.

A ce Monopoly matrimonial, l’avocat Miles Massey (George Clooney) est imbattable: quiconque fait appel à ses services gagne la partie. Aucune affaire, aussi mal barrée soit-elle, ne résiste à ce bellâtre obsédé par la blancheur de ses dents, qu’il a longues, évidemment. Tout lui sourit jusqu’au jour où il rencontre Marylin (Catherine Zeta-Jones) qui, elle, a la dent dure.

Epouse de Rex Rexroth, un milliardaire dont le fantasme sexuel est de jouer au petit train, Marylin aurait dû, en toute logique, jouir d’une rente à vie si Massey n’avait pas été l’avocat de son mari infidèle. Vaincue, ruinée, la jeune arriviste n’aura de cesse de se venger de l’avocat le plus fameux de Los Angeles. Son machiavélisme fera notre enchantement, mais aussi celui de Massey qui veut séduire cette «femme fascinante». Dans «Intolérable cruauté» toutes les perfidies et trahisons sont autorisées. Mais avec le sourire. D’où l’importance des dents blanches, investissement aussi important qu’une villa avec piscine.

Les frères Coen orchestrent leur jeu du chat et de la souris avec jubilation. Les dialogues qui ne nous laissent aucun répit sont d’une rosserie réjouissante. Le scénario réserve plusieurs rebondissements imprévisibles – l’histoire a toujours de l’avance sur notre compréhension des faits – et la morale respecte le titre du film, elle est intolérable et cruelle. Pourquoi? Parce que dans cette guerre des roses, personne n’aime personne. Tout ici est affaire de possession et d’argent. La moindre des envolées romantiques est immédiatement sanctionnée par le scénario, à l’image du discours de Massey vantant devant un parterre de confrères interloqués les vertus de l’amour. Sitôt terminé son laïus et prises ses bonnes résolutions de défendre la veuve et l’orphelin, l’avocat découvre que Marylin le quitte après l’avoir floué!

A l’image de son générique, une kyrielle de chérubins plantant leurs flèches dans le cœur d’amants timorés, «Intolérable Cruauté» s’amuse à renverser les valeurs qui fondent traditionnellement la comédie romantique. D’ailleurs, les cupidons du générique ressemblent à s’y méprendre à des petits diables. Si l’enfer est pavé de bonnes intentions, pourquoi le paradis ne serait-il pas tapissé de vilaines arrières pensées?