CULTURE

Mouvements des steppes

Le travail documentaire du photographe Théo Saffroy dévoile la beauté et la portée insoupçonnées du «kok-boru», sport national au Kirghizistan.

Une version de cet article réalisé par Large Network est parue dans le magazine photographique Météore.

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Deux équipes de huit cavaliers s’opposent. Le combat sera probablement brutal. L’objectif : saisir une carcasse de chèvre de 30 à 40 kg en plein galop pour la déposer dans le but adverse, le kazan. Ce sport national du Kirghizistan est appelé le kok-boru. «Il y a une violence certaine qui émane de ce jeu. La chèvre est d’abord décapitée lors d’une cérémonie. Durant le match, les chevaux en sueur s’entrechoquent, provoquant parfois la chute des cavaliers qui peuvent se retrouver piétinés. À la manière d’une danse énergique, ces mou­vements a priori insensés renferment aussi une dimension esthétique. Mon intention a été de trouver l’harmonie qui se dégage de ces contrastes.»

Tradition héritée du monde nomade, le kok-boru se pratique sous différentes formes dans de nombreux pays d’Asie centrale tels que le Kazakhstan, le Tadjikis­tan ou l’Ouzbékistan. Au Kirghizistan, le jeu a été institutionnalisé après la proclamation d’indépendance du pays en 1991, et constitue un puissant vecteur de lien social au sein des villages. «Financée par un mécène, chaque compétition remportée participe à soutenir une économie solidaire au travers des gains collectés par les cavaliers, qui seront utilisés pour construire une école ou permettre un voyage vers l’hôpital le plus proche, par exemple. Sans le kok-boru, ce monde rural serait voué à mourir.»

Afin de capturer ces enjeux au plus juste, Théo Saffroy a passé trois semaines dans la famille de Ruslan – le plus vieux capitaine d’équipe de kok-boru encore actif – découvert grâce à un travail de documentation de plusieurs mois réalisé en amont. «La photographie et le sport restent des prétextes pour raconter une histoire plus profonde. Le temps s’avère une valeur essentielle pour ce type de projets. Il s’agit de laisser la confiance s’installer et d’amorcer un vrai partage.» Entre virilité et vulnérabilité, les portraits de la série Kok Boru: Steppes by Step révèlent une intimité, le visage complexe d’une société méconnue.

Qu’est-ce qui vous inspire dans ce sport ?

«Le fait qu’il s’agisse d’un sport collectif, où plusieurs individualités s’unissent dans un but commun. Le kok-boru comporte aussi une importante dimension sociale et solidaire, et garantit la survie de villages abandonnés par l’État. Il est un témoignage du passé et l’expression d’une passion présente, que les cavaliers continuent de transmettre à leurs enfants.»

THÉO SAFFROY, FRANCE

Autodidacte, le photographe né à Paris en 1992 Théo Saffroy réalise ses premiers documentaires photographiques en Amérique latine en 2018. Ses travaux sont aujourd’hui publiés dans des magazines tels que L’Équipe, Paris Match et Vogue Italia.

Découvrir l’artiste ici.