La candidate bâloise crève l’écran dans l’excellent «Mais im Bundeshuus». Sera-t-elle élue dimanche? La politique suisse prend des allures de thriller.
Il y a une semaine encore, j’ignorais tout de Maya. Mais voilà, je suis allée voir l’excellent «Mais im Bundeshuus, le génie helvétique» et depuis, j’ai l’impression que la politique fédérale a pris chair.
Je parie que je ne serai pas la seule à suivre de près, dimanche soir, le score de la candidate Maya Graf. Son siège pourrait lui être ravi par l’UDC. Quel suspens!
Grâce au talent de Jean-Stéphane Bron, la vie politique suisse a pris des allures de thriller. Le documentariste a réussi là où les formes les plus élaborées de cours d’éducation civique ont échoué: rendre la chose publique suisse attrayante. Sa recette? Un «casting» de rêve.
Avec Maya, Liliane, Jacques, Josef et Johannes dans les rôles principaux, le documentariste a trouvé des personnages capables de renverser les clichés de grisaille et d’ennui associés aux activités du Palais fédéral. «Il s’agit vraiment d’un casting. On a cherché des personnes qui possédaient un réel potentiel narratif», précise le jeune réalisateur.
Le choix de Maya révèle une véritable comédienne. La jeune lionne qui débarque pour la première fois dans une commission fédérale crève d’emblée l’écran. Quelle assurance pour une néophyte! Même un vieux renard comme le radical Johannes Randegger ne semble pas l’intimider.
Croqueuse de pommes, brouetteuse de fumier à ses heures, la jeune femme semble un jour manquer d’énergie. Que se passe-t-il donc? Ses collègues s’inquiètent et découvrent que Maya est tout simplement anxieuse. Au petit matin, elle a quitté un cheval malade et téléphone au vétérinaire pendant la première pause café.
La politicienne a mille facettes. Aussi décontractée dans ses tenues que dans ses propos, la Verte bâloise sait aussi, le jour J, lors d’une séance devant le Conseil national, apparaître en tailleur sombre et boucles d’oreilles chic. Sa proposition est rejetée? Elle camoufle sans peine sa déception. «Ce n’est pas la fin du monde!», commente-t-elle en souriant.
Jean-Stéphane Bron ne s’en cache pas: «Maya Graf apporte beaucoup dans le dispositif dramaturgique par les idées qu’elle défend, mais aussi par sa fraîcheur». A la place du cinéaste, j’aurais quelque inquiétude. Et si Maya Graf allait s’inspirer de la démarche de l’instituteur d’«Etre et avoir» et exiger un cachet hollywoodien pour ce rôle si bien tenu?
Le réalisateur Nicolas Philibert est en effet confronté à une revendication inédite. Le héros de son documentaire, Georges Lopez, lui réclame pas moins de 250’000 euros. Il a entamé une action en justice, estime qu’il aurait dû être rémunéré et fait valoir son droit à l’image pour ce documentaire qui a été vu par un million et demi de spectateurs.
Depuis quelques jours, ce débat passionnant anime le milieu cinématographique français: la démarche de Georges Lopez est tout à fait légitime, estiment les uns. Elle menace le genre documentaire, répondent les autres. Et la polémique soulève une question qui ne sera désormais plus éludée: où prend fin le droit à l’image? Des personnes filmées dans le cadre de leurs activités professionnelles pour les besoins d’un documentaire deviennent-elles ipso facto des comédiens qui peuvent prétendre au partage de la recette?
Nicolas Philibert a récemment tenu une conférence de presse «pour défendre l’avenir du documentaire, un genre fragile, difficile et aujourd’hui menacé».
«Un principe fondamental du genre documentaire veut que ses protagonistes ne soient pas payés pour leur présence dans le film, explique-t-il. Il faut en effet qu’ils conservent toute liberté de refuser la caméra. Quelle relation le spectateur peut-il entretenir au réel si la relation est d’emblée pervertie par un lien économique?»
Cette position n’est pas partagée par le célèbre documentariste Daniel Karlin. Dans Le Monde (12-13 octobre), il a même pris la défense de l’instituteur, en puisant ses arguments dans son expérience personnelle de cinéaste. Lorsqu’il avait filmé le psychiatre Bruno Bettelheim, raconte-t-il, il lui avait proposé de partager les droits d’auteur. Bettelheim avait refusé. Souvent, précise Karlin, «j’ai payé les protagonistes de mes films».
Daniel Karlin considère que le réalisateur d’un documentaire utilise l’image des personnes à son profit, et qu’une rétribution est «la moindre des choses» lorsque le profit est énorme.
L’affaire Lopez découle-t-elle des dérives de la télé réalité, de l’influence de plus en plus forte des comportements judiciaires américains, ou d’une simple lacune du droit? Le procès qui devra se prononcer sur la question fera jurisprudence. Une première décision sera rendue le 5 novembre 2003. Pour le cinéma documentaire, l’enjeu est de taille.
Maya Graf, qui doit connaître le coût d’une campagne électorale, estime peut-être que celle que vient de lui offrir Jean-Stéphane Bron constitue une honnête rémunération de ses talents de comédienne.