Si «l’eau c’est la vie», trop en boire peut néanmoins s’avérer fatal. Une jeune athlète en a fait l’expérience lors du dernier marathon de Boston. Elle est morte, victime d’avoir appliqué à la lettre une recommandation très répandue, mais non fondée: il faut boire le plus possible durant un effort d’endurance pour éviter la déshydratation et accroître la performance.
Une directive pernicieuse, aujourd’hui battue en brèche par Timothy Noakes, de l’université de Cape Town, expert à l’Institut en science des sports d’Afrique du Sud. Le fruit de ses recherches vient d’être publié dans le British Medical Journal. L’auteur y met en garde les sportifs: «Les adeptes de sport d’endurance doivent savoir que la surconsommation de liquide — sous forme d’eau ou de boissons pour sportifs — avant, pendant ou après un exercice intense et prolongé n’est pas nécessaire et peut même avoir des conséquences potentiellement fatales.»
De nombreux sites dispensant des conseils aux athlètes semblent l’ignorer. Ainsi peut-on encore trouver des messages du style «la solution en sport c’est l’hyperhydratation». Faux! Il y a risque d’hyponatrémie.
Il faut entendre par là une diminution de la concentration sanguine en sodium (sel) responsable, par phénomène osmotique, d’une entrée d’eau excessive dans les cellules du système nerveux entraînant la formation d’un œdème cérébral. Ses signes précurseurs sont divers: une grande fatigue, des crampes musculaires, de la nausée, une agitation, une confusion mentale, des convulsions et finalement le coma.
En se penchant sur la genèse des directives en matière d’hydratation, on découvre une coïncidence étrange. De l’Antiquité à la fin des années soixante, on a vu d’un mauvais oeil l’ingestion de liquide durant les séances d’exercice physique. Il était alors recommandé aux sportifs de ne pas boire pour ne pas mettre en péril leurs performances. Puis, alors qu’arrivaient sur le marché les premières boissons pour sportifs, en 1969, un article soulignant les dangers d’une consommation insuffisante d’eau vient renverser la tendance. Un nouveau credo était né.
«Cet article fondé sur aucune donnée scientifique, a favorisé la publication de plusieurs études financées par l’industrie, naissante à l’époque, des boissons «sportives». Des études qui conseillaient toutes aux athlètes de remplacer le volume d’eau perdu en transpirant par autant de liquide possible», rappelle Timothy Noakes.
De telles recommandations ont conduit à des tragédies difficiles à chiffrer. On parle d’au moins deux cents cas documentés. De nombreux autres décès inexpliqués pourraient trouver là leur origine. Des chercheurs se penchent sur le sujet.
Ce ne sont pas tant les athlètes de pointe qui sont menacés par l’hyponatrémie que les individus moins entraînés, de petite taille, notamment les femmes. Effectuant un marathon en cinq ou six heures, elles peuvent boire jusqu’à quinze litres d’eau alors que le champion qui court en moins de deux heures et demi n’a tout simplement pas le temps d’ingurgiter autant de liquide.
Timothy Noakes estime que la consommation de liquide devrait se situer entre 400 et 800 ml par heure lors de la pratique d’activités récréatives ou compétitives. Ces rations devant être diminuées si la personne est de petite taille ou que la température n’est pas très élevée.
Les athlètes de haut niveau comme les cyclistes du Tour de France boiront naturellement davantage. Ces derniers sont l’illustration par excellence de la thèse défendue par le chercheur sud africain. Ils transpirent à raison de trois à quatre litres par heure. Or, ils ne peuvent guère en absorber autant, ce qui fait qu’ils sont forcément en déficit d’eau sans que cela ne les handicape.
Ce que l’on observe aujourd’hui dans le monde du sport avait fait, l’an dernier, l’objet d’une mise en garde au sein de l’armée américaine. Plusieurs cas de morts par hyperhydratation y avaient été observés, découvre-t-on dans un article intitulé «La mort par intoxication à l’eau». L’adoption consécutive de directives devrait mettre fin à ce que Noakes qualifie de «malheureuse aberration scientifique».
Retour à la nuance et au bon sens? Pas sûr. Certains scientifiques évoquent maintenant les «bénéfices de la déshydratation pour les coureurs de marathon». Attention les dégâts! On connaissait déjà les dérives des pratiques alimentaires où des recommandations nutritionnelles mal digérées débouchent sur de nouvelles pathologies (orthorexie). Il en va de même pour l’hydratation. A vouloir trop bien faire, on commet des erreurs. Le mieux est l’ennemi du bien.