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Bébés secoués: comment éviter le drame

Le phénomène que les spécialistes appellent « Abusive head trauma » (AHT) fait de nombreuses victimes, dont au moins une dizaine de morts chaque année en Suisse. Une campagne vient d’être lancée pour prévenir ce geste aux lourdes conséquences. L’enjeu central: dédramatiser et mieux comprendre les pleurs des nourrissons.

Ce sont souvent des situations où tout se cumule: les cris perçants qui ne s’arrêtent pas, une fatigue abrutissante causée par les nuits écourtées, un voisin qui sonne pour se plaindre du bruit… Les nerfs passablement éprouvés, il suffit de quelques secondes pour commettre l’irréparable. Le syndrome du bébé secoué est la première cause de mortalité par maltraitance chez les enfants de moins de 2 ans en Suisse. D’une extrême violence, ce geste de secousses répétées entraîne une oscillation brutale d’avant en arrière de la tête du nourrisson. Conséquences: les veines du cerveau se déchirent et créent des saignements intracrâniens. Les effets de cisaillements provoquent des hémorragies rétiniennes et les dommages cérébraux génèrent des dysfonctionnements neurologiques. Aujourd’hui, le terme de «Abusive head trauma» (AHT) est favorisé par les équipes médicales pour désigner la lésion plutôt que le mécanisme.

«Le syndrome du bébé secoué n’arrive pas par accident, lors de jeux ou de balancements pour le bercer, précise Sarah Depallens, pédiatre et responsable du Child Abuse and Neglect (CAN) Team, unité du CHUV spécialisée dans la maltraitance infantile. C’est un acte d’une violence extrême.» Un bébé sur dix décède après le choc. Deux enfants sur trois seront sévèrement handicapés, physiquement comme mentalement. Pour les autres, les séquelles sont plus difficiles à évaluer: les retards psycho-cognitifs peuvent être légers et se manifester seulement plus tard, lors de la scolarité par exemple, s’exprimant par des difficultés de langage ou des problèmes d’apprentissage.

Ce sont souvent les pleurs des premiers mois, mal supportés par des parents fragilisés et fatigués, qui entraînent la perte de contrôle. Dans certaines situations, c’est aussi la méconnaissance du danger qui est pointée du doigt. Le père de l’enfant ou le conjoint de la mère est dans 60% des cas celui qui passe à l’acte . «Les hommes sont moins éduqués aux pleurs d’un bébé, explique la pédiatre. En outre, pour des raisons d’organisation familiale et de manque de soutien sociétal, peu de pères sont présents lors des discussions avec la sage-femme, avec l’infirmière de la petite enfance ou pour les visites chez le pédiatre, ce qui fait qu’ils sont moins informés des besoins du bébé et reçoivent moins de conseils éducatifs.» Dans 10% des cas, ce sont les mères qui sont responsables, et pour 30% des situations, ce sont les mamans de jour, les jeunes filles au pair ou les baby-sitters.

L’âge moyen des victimes est de 5 mois, «période durant laquelle les pleurs sont les plus fréquents, notamment à cause des coliques du nourrisson et du rythme de sommeil encore irrégulier». Chaque année, une dizaine de cas sont signalés en Suisse, chiffre qui pourrait en réalité être plus important car seuls les cas graves et symptomatiques sont identifiés. «Les statistiques liées à la maltraitance sont toujours inférieures à la réalité puisqu’une grande partie reste invisible», précise Sarah Depallens.

L’essentielle prévention

La détection précoce pour éviter d’autres épisodes de secouements est un enjeu majeur. La plupart des symptômes d’un bébé secoué sont aspécifiques: irritabilité, vomissement, léthargie, voire convulsions ou troubles de l’état de conscience. Les équipes médicales sont aujourd’hui formées pour identifier ces tableaux cliniques et repérer au plus vite les signes de maltraitance.

Selon une étude menée par Sarah Depallens, plus de 60% des bébés examinés pour une suspicion d’AHT avaient des lésions cérébrales intervenues à des âges différents, et 70% de ces bébés avaient déjà vu un pédiatre quelques semaines plus tôt pour des symptômes aspécifiques pouvant être le signe d’un événement antérieur de violence. «Il est donc essentiel de les repérer au plus vite pour éviter que la violence ne se reproduise sur le bébé ou sur ses frères et soeurs.» En cas d’identification d’un bébé victime de mauvais traitement, une coordination étroite avec la justice civile et la justice pénale est mise en place afin d’identifier la personne responsable de cette maltraitance et éviter une récidive.

«Les pleurs peuvent épuiser les parents, souligne Sarah Depallens. En cas de grande difficulté, il vaut mieux quitter la pièce, demander de l’aide, prendre le temps de souffler. Un bébé n’est jamais en danger s’il est allongé sur le dos dans son lit à barreaux.» Sarah Depallens s’est associée au professeur Tony Fracasso, médecin légiste directeur adjoint du Centre universitaire romand de médecine légale, pour créer une campagne de prévention en Suisse romande. Commencée en octobre 2022, la campagne composée de vidéos et d’un site internet dispense des conseils aux jeunes parents. «Il faut dédramatiser les pleurs pour enlever la pression des parents qui pensent que ces cris signifient leur incompétence, explique Tony Fracasso. Les pleurs sont normaux. Les nourrissons restent parfois inconsolables malgré les efforts. La frustration est donc compréhensible et c’est en réalisant cela que l’on apprend ce qui est dangereux, comme le fait de secouer un bébé. Et une fois l’information acquise, elle est généralement transmise dans l’entourage.» Lancée à Lausanne et à Genève dans un premier temps, la campagne est relayée par les professionnel·le·s de la santé, notamment par les sages-femmes. «L’élément déclencheur est identifié: ce sont les pleurs, explique-t-il. Les personnes responsables ne veulent généralement pas nuire à l’enfant, elles regrettent leur acte. Avec une meilleure sensibilisation, ces drames sont évitables.»

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Une version de cet article réalisé par Large Network est parue dans In Vivo magazine (no 26).

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