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Vivre avec la maladie de Crohn

Incomprise et taboue, la maladie de Crohn reste aujourd’hui incurable. Dans les cas les plus aigus, les spécialistes recommandent la suppression d’une partie de l’intestin. Les associations se mobilisent pour sensibiliser la population et soutenir les personnes atteintes.

«Aucune maladie n’est sexy, mais la maladie de Crohn ne l’est particulièrement pas, dit Adéla Fanta, secrétaire à l’association Crohn Colite Suisse. On parle ici de selles, de consistance, de sang, de flatulences et de douleurs au ventre. C’est un sujet tabou dont les gens ont malheureusement honte de parler.» L’association créée en 1986 est composée de membres volontaires, qui sont également atteints par la maladie de Crohn ou la rectocolite ulcéro-hémorragique, l’autre grande pathologie liée à une inflammation de l’intestin.

Les symptômes de la maladie de Crohn, souvent dissimulés, se caractérisent par un transit capricieux, des douleurs et des sensations d’urgence d’aller à la selle. L’affection concerne tout le tube digestif, de la bouche à l’anus, mais attaque plus couramment la zone de transition entre l’intestin grêle et le gros intestin. La maladie peut provoquer jusqu’à 20 diarrhées par jour. «Les patient·e·s souffrent souvent également de symptômes extra-digestifs, comme des douleurs articulaires, des problèmes de peau, des inflammations des yeux et des voix biliaires», précise Thomas Greuter, chef de clinique en gastroentérologie au CHUV.

La maladie est souvent vécue avec embarras, ce qui pousse de nombreux·ses patient·e·s à s’isoler. Elle touche pourtant une personne sur 500 en Suisse, principalement les femmes (1,4 femme pour 1 homme), et se déclare généralement entre 20 et 30 ans ou après 60 ans. Selon les chiffres de l’association, 80% des individus souffrant d’un Crohn se sentent honteux. «On doit régulièrement aller aux toilettes, les douleurs sont continues. Quant aux traitements, s’ils soulagent, ils peuvent provoquer une prise de poids, des problèmes de peau, voire la chute de cheveux, ce qui peut sérieusement diminuer la confiance en soi», détaille Adéla Fanta.

Pour faire face, le partage d’expériences se révèle essentiel. «C’est une des premières choses que l’on dit: vous n’êtes pas seuls.» L’association apporte des réponses aux interrogations du quotidien: vie professionnelle, grossesse, relations sexuelles. Selon elle, les patient·e·s manquent souvent de temps lors des rendez-vous médicaux pour poser des questions concrètes et intimes. «Aujourd’hui, certaines personnes contactent l’association parce qu’elles viennent d’être diagnostiquées, d’autres s’interrogent sur des aspects inattendus. Par exemple : est-il possible de faire un tatouage ? Oui. Peut-on aller dans un solarium ? Non.»

Les causes exactes de ces inflammations chroniques des muqueuses restent inconnues. Des facteurs de risque ont néanmoins été identifiés, comme le tabac, la santé du microbiote intestinal, la prise d’antibiotiques, l’alimentation et notamment les aliments transformés. Si on ignore la cause de cette maladie, elle touche statistiquement davantage les pays occidentaux. L’une des hypothèses pour expliquer ce déséquilibre réside dans le dépistage, plus fréquent dans ces pays. Mais, pour le moment, les seuls facteurs de risque attestés scientifiquement sont le tabac et la consommation d’aliments transformés.

Chirurgie salvatrice

«La maladie reste pour le moment incurable, mais les traitements et la chirurgie permettent de la contrôler, ajoute le gastroentérologue Thomas Greuter. Ces traitements à base d’immunosuppresseurs diminuent les symptômes et atténuent la sévérité de son évolution. Chez un tiers des patients, les médicaments fonctionnent très bien, pour un autre tiers la réponse est plus partielle et le dernier tiers ne répond pas aux traitements. Dans ce cas, la chirurgie peut être une solution.» Il existe alors différentes interventions, qui consistent à couper les parties malades de l’intestin et reconnecter les parties saines. Une autre solution est l’iléostomie, qui consiste à poser une dérivation de l’intestin vers l’extérieur au niveau du ventre. Toutes les selles sont alors évacuées dans une poche de stomie. Cette opération constitue parfois un traitement transitoire pour reposer le tube digestif et optimiser l’efficacité des médicaments administrés, ou définitif si la partie endommagée est trop importante pour être coupée. «La chirurgie est omniprésente dans le parcours thérapeutique : 75% des personnes atteintes devront subir une opération.»

C’est le cas de Juliette Mercier, atteinte de la maladie de Crohn depuis ses 15 ans, qui a vécu une iléostomie totale. «J’ai dû me faire opérer en urgence en 2017. À l’époque, je mesurais 1,69 m pour 37 kg. J’étais en sous-poids, constamment fatiguée, j’avais jusqu’à 20 diarrhées par jour. Je suis allée à l’hôpital pour être alimentée artificiellement et la gravité de ma maladie m’a imposé de passer à une stomie définitive. Paniquée, je cherchais des témoignages en ligne mais ne trouvais que des informations terrifiantes et négatives. Après mon opération, j’ai donc voulu partager mon expérience, par mon biais d’expression: la bande dessinée.»

Avec humour et sous le pseudo «Stomie Busy», Juliette Mercier raconte depuis 2019 son histoire personnelle à plus de 100’000 abonnés sur Instagram. Elle aborde les questions du quotidien avec la maladie, des allers-retours à l’hôpital mais aussi les questions de féminité et d’intimité. «La beauté a plusieurs visages et plusieurs corps aussi», scande un de ses récents dessins. «Aujourd’hui, je vis nettement mieux, je n’ai plus de symptômes ! Il faut s’habituer à la poche mais je me la suis totalement appropriée. Elle me permet plus de liberté.» L’illustratrice a également publié en 2021 la bande dessinée Ma Crohn de vie (Éd Leduc Graphic), relatant son combat avec la maladie.

«Chaque personne vit son Crohn différemment, ce qui implique qu’il faut souvent essayer plusieurs traitements avant de trouver le bon», souligne Adéla Fanta, qui se réjouit néanmoins des progrès scientifiques. «Lorsqu’on m’a diagnostiquée il y a vingt-cinq ans, il n’existait que deux médicaments. Aujourd’hui, une dizaine est disponible. J’ai bon espoir qu’on trouve un jour un traitement curatif.» /

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Conseils pratiques

GROSSESSE: Rien n’empêche une personne atteinte de la maladie de Crohn d’être enceinte, mais un suivi médical régulier est important, notamment pour adapter le traitement médicamenteux.

INTIMITÉ: Les relations sexuelles sont compatibles avec la maladie de Crohn mais elles peuvent être limitées par les douleurs abdominales et les fistules. Les phases de crise entraînent aussi une baisse de la libido.

SPORT: L’activité physique qui sollicite les articulations est à éviter pendant les poussées. Le repos est prescrit en période de crise. Les fistules peuvent contre-indiquer certains sports, comme le vélo.

ALIMENTATION: Pendant les crises, tout ce qui stimule la digestion devrait être évité, comme les fruits et légumes crus, les boissons gazeuses, les noix, etc.

VOYAGE: Afin de s’éviter le stress d’une urgence, il peut être utile de repérer les toilettes publiques avant une excursion. Le site wc-guide.ch a par exemple cartographié tous les WC en libre accès en Suisse.

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Une solution dans le télétravail

«La maladie de Crohn est difficilement compatible avec la vie professionnelle. Les employeur·euse·s craignent les absences pour cause d’hospitalisation, ils prennent peur face à cette maladie.» Pour Adéla Fanta, secrétaire à l’association Crohn Colite Suisse, le monde professionnel se montre parfois insensible aux maladies inflammatoires chroniques de l’intestin. «Les malades peuvent aussi se sentir gênés, les toilettes d’entreprise n’offrent pas toujours une grande intimité.» Pour elle, le télétravail constitue une solution pour les personnes touchées par la maladie de Crohn. Un avis partagé par Thomas Greuter, chef de clinique en gastroentérologie au CHUV : «Travailler à domicile enlève une pression autant sociale que psychologique. Dans les périodes de crise, face aux douleurs et aux urgences d’aller aux toilettes, il est plus confortable d’être à la maison.» En outre, en période de pandémie, les personnes souffrant de la maladie de Crohn doivent particulièrement se protéger étant donné que les traitements entraînent souvent une baisse de l’immunité.

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Une version de cet article réalisé par Large Network est parue dans In Vivo magazine (no 26).

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