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Sur la trace de coquillages fossilisés

Le chemin menant de Murist (FR) à Estavayer-le-Lac, sur la rive sud du lac de Neuchâtel, offre de nouveaux horizons et permet de découvrir l’histoire de la formation du Plateau suisse.

Une version de cet article réalisé par Large Network est parue dans le magazine L’Environnement. Abonnez vous gratuitement ici.

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Le centre historique de la petite ville d’Estavayer-le-Lac, dans le canton de Fribourg, trône sur la rive sud du lac de Neuchâtel et livre une vue imprenable sur les quelques 220 kilomètres carrés de la plus grande étendue d’eau entièrement suisse. À l’écart des principales lignes ferroviaires, la ville est accessible en train en passant, selon sa provenance, par Yverdon-les-Bains (VD) ou par Fribourg. Depuis la gare d’Estavayer, un bus des Transports publics fribourgeois dessert sporadiquement le village agricole de Murist, situé au sud-ouest. Mais ce voyage un peu fastidieux vaut la peine : les dix minutes de trajet donnent un aperçu des collines de molasse du Plateau, qui façonnent un paysage dominé par des forêts de hêtres et des champs cultivés. Le grès de la Molière, calcaire coquillier autrefois extrait près de Murist, est visible dans certaines parties de l’église du village et dans les maisons de pierre attenantes. On retrouvera ce type de roche, plus tard, dans le donjon médiéval de la Tour de la Molière. Le court chemin qui y conduit emprunte d’abord une route vers l’est avant de bifurquer vers la droite pour rejoindre ensuite la forêt de feuillus toute proche.

Hêtres siamois

Sur le sentier didactique suivant l’orée de la forêt en direction de l’est, un panneau signale deux hêtres communs siamois. Il arrive en effet que deux arbres voisins de la même espèce, caractérisée par une écorce très fine, fusionnent. Ce phénomène peut se produire notamment lors­qu’une branche maîtresse balancée par le vent frotte et endommage l’écorce d’un autre tronc. Le cambium est alors mis à nu. Cette couche d’écorce intérieure est déterminante pour la croissance des cernes annuels : si les cellules du cambium de deux hêtres voisins restent en contact prolongé, comme ici à Murist, elles peuvent fusionner progressive­ment jusqu’à partager leurs apports en eau et en nutriments.

Ruine avec vue panoramique

À quelques centaines de mètres vers l’est, les grues et machines rouillées d’une carrière abandonnée annoncent de loin la fin d’une époque. Il y a environ 2000 ans, les Romains extrayaient déjà le solide grès de la Molière des collines de molasse marine supérieure afin de fournir ce matériau de construction naturel à la capitale helvète, l’actuelle Avenches (VD). La pierre de Murist, aux teintes jaunâtres, est composée de frag­ments consolidés de coquillages, mollusques et oursins charriés par des courants marins il y a des millions d’années. De la compression de ces matériaux est née une roche calcaire poreuse, mais très résistante aux intempéries, disposée en couches pouvant aller jusqu’à 20 mètres d’épaisseur. Les principaux gisements de ce calcaire coquillier, stockés dans les grès de la molasse marine, se trouvent dans la région fribour­geoise de la Broye et dans le canton d’Argovie. Au cours des siècles, cette pierre naturelle a notamment été utilisée pour construire des colonnes, des meules, des fontaines, des portails ou des encadrements de fenêtres, et a aussi servi de pierre de taille. Aujourd’hui, son extraction à Murist n’est plus rentable.

La Tour de la Molière, située juste derrière la carrière abandonnée, est un important témoin de ce patrimoine architectural. Ce donjon est le dernier vestige d’un château et d’un bourg médiévaux. Dès le XIXe siècle, en effet, comme pour marquer la fin de l’ère féodale, les autorités locales acceptèrent que le complexe, alors ancien de 700 ans, soit utilisé comme carrière. La colline du château a ainsi fourni les pierres nécessaires aux nouvelles construc­tions dans le village.

Grâce au code chiffré obtenu en appelant le 079 316 62 13, il est possible de récupérer la clé pour accéder aux nombreuses marches de bois menant à la plateforme d’observation, au sommet du donjon. Même si le surnom «OEil de l’Helvétie» est un peu exagéré, on y jouit par temps clair d’une vue impressionnante sur les trois lacs du pied du Jura, la première chaîne du Jura et le Plateau occidental.

Au fil des chemins creux jusqu’au lac

Lorsque l’on quitte la tour en direction de Seiry et Bollion, dans la petite vallée du Bainoz, l’itinéraire alterne entre des paysages ouverts, des forêts de hêtres et de beaux chemins creux. Autrefois entièrement mis sous tuyaux, le cours supérieur du Bainoz coule de nouveau libre­ment depuis sa renaturation en 2017.

En continuant vers Châtillon, un passage sous voie permet de traverser l’autoroute A1 au niveau de Chèvrefu : les sangliers, chevreuils, renards et blaireaux disposent, eux, d’un large passage à faune au-des­sus de l’axe routier.

Estavayer-le-Lac, la destination de notre randonnée, doit à son centre historique médiéval et à ses remparts du XIIIe siècle, en grande partie conservés, le statut de bien culturel d’importance nationale. La rive est du lac mérite elle aussi une visite : les vastes roselières et forêts alluviales de la Grande Cariçaie lui valent égale­ment un classement comme réserve naturelle d’importance nationale. Avec près de 3000 hectares, il s’agit du plus grand marais lacustre de Suisse.