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De la «feuille de route» à la «guerre totale»

Il aura fallu moins d’une semaine de violence pour compromettre le plan de paix fraîchement signé. Comment comprendre ces revirements? Explications.

Le 4 juin dernier, les Premiers ministres israélien et palestinien signaient à Aqaba la «feuille de route» visant à mettre un terme aux violences et à régler le contentieux israélo-palestinien d’ici à l’horizon 2005.

Il aura fallu moins d’une semaine pour que ce plan de paix soit sérieusement compromis. Tant Israël que les éléments extrémistes du Hamas, le principal mouvement de résistance islamique palestinien, s’en sont donnés à cœur joie pour torpiller l’espoir de paix né à l’issue de la réunion d’Aqaba.

Le Hamas a frappé en premier. Dimanche 8 juin, ses militants ont abattu quatre soldats israéliens au check-point d’Eretz, qui sépare la bande de Gaza d’Israël. Les Israéliens ont répondu deux jours plus tard en tentant d’éliminer physiquement Abdel Aziz al-Rantissi, un des porte-parole les plus en vue du Hamas.

Le lendemain, un militant de ce même mouvement perpétrait un attentat suicide dans un bus à Jérusalem, tuant 16 passagers israéliens. Depuis lors, Israël a déclenché une série de représailles «ciblées» contre des responsables militaires du Hamas, mais qui n’en ont pas moins causé de nombreuses victimes parmi la population civile.

Depuis la signature de la «feuille de route», les violences de part et d’autre ont fait une soixantaine de morts.

Ce regain de violences semble ne pas devoir s’arrêter là. Bien au contraire. Aux dires des autorités israéliennes et des dirigeants du Hamas, il ne s’agit pas d’un énième épisode de l’Intifada. Des deux côtés, on parle, en termes irrémédiables, de guerre totale.

Aux imprécations du Hamas, jurant de poursuivre le Jihad (la guerre sainte) jusqu’à ce que le dernier criminel sioniste soit évincé de Palestine, Israël a répondu par des mots d’ordre guerriers promettant la destruction totale du Hamas et de son infrastructure armée.

L’attitude du Hamas n’est pas surprenante – le mouvements’est déclaré hostile à la «feuille de route» tout comme il s’était fermement opposé aux accords d’Oslo de septembre 1993. En revanche, l’attitude d’Israël est paradoxale. Quelle cohérence y a-t-il entre son soutien diplomatique à Abou Mazen et ses actions de représailles qui ne font pour l’heure qu’affaiblir celui-ci auprès de siens? Les récentes déclarations modérées de Sharon au sujet de l’inévitabilité d’un Etat palestinien font-elles déjà partie du passé?

Même le Président américain George W. Bush a semblé décontenancé par l’attitude israélienne, se déclarant «profondément troublé» par la tentative d’assassinat contre Rantissi, à un moment où il était devenu évident que le Hamas profiterait de la moindre opportunité pour torpiller le processus de paix.

Comment interpréter les contradictions israéliennes? Sont-elles l’expression des dilemmes de Sharon, coincé entre les pressions de la communauté internationale en faveur d’une paix négociée avec les Palestiniens et sa conviction intime que seule la force permettra de résoudre les problèmes de coexistence entre Israël avec ses voisins? Ou assiste-t-on à la mise en œuvre par Israël d’une politique réfléchie d’«assainissement» de la scène politique palestinienne, qui serait le prélude indispensable au bon déroulement du processus de paix?

Dans tous les cas, la campagne militaire lancée contre le Hamas vient de se voir adoubée par les Etats-Unis suite à la dernière attaque suicide de Jérusalem.

L’attitude de l’Autorité palestinienne est restée ambiguë. Elle a certes condamné la tentative d’assassinat contre Rantissi, mais dans le même temps, certains de ses membres n’ont pas hésité à stigmatiser les «irresponsables du Hamas» et leurs bailleurs de fonds étrangers, dont l’Arabie Saoudite. Les opérations israéliennes ne lui sont d’ailleurs pas entièrement défavorables. Malgré les risques d’implosion de la société palestinienne qu’elles recèlent, ne sont-elles pas en train de réaliser ce que la «feuille de route» exigeait de l’Autorité, à savoir la neutralisation des groupes armés?

Acculé de toute part, le Hamas n’a pas dit son dernier mot. Loin de là. Auréolé du prestige populaire que lui confère son statut d’avant-garde de la résistance à l’occupation, il bénéficie également de la confiance des classes les plus défavorisées de la population en raison du travail efficace de ses réseaux d’entraide sociale, à Gaza en particulier.

En cas de conflit déclaré avec l’Autorité palestinienne, le Hamas pourrait facilement mobiliser les réfugiés en sa faveur. Constituant près de 80% de la population à Gaza, ces derniers ont vu Sharon exclure leur droit au retour du menu des futures négociations israélo-palestiniennes, sans rencontrer de résistances particulières de la part de l’Autorité palestinienne ou des pays arabes d’accueil.

Réduire l’aile extrémiste du Hamas requiert plus que des «assassinats ciblés» ou sa diabolisation médiatique. C’est là une mission qui nécessite la mise en place, en Cisjordanie et à Gaza, de conditions politiques et socio-économiques suffisamment attrayantes pour détourner ses sympathisants du jihad contre Israël et ses habitants.

En réalité, ce dont la «feuille de route» a le plus besoin aujourd’hui est la fin de l’occupation israélienne et la mise en place de structures palestiniennes viables.

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Jalal Al Husseini, 36 ans, est docteur en science politique et chercheur en relations internationales. D’origine suisse et palestinienne, il est domicilié à Amman.