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Griller des cervelas et compter sur le Qatar

Guy Parmelin a dévoilé la stratégie énergétique de la Suisse pour passer l’hiver. Dans un joyeux mélange d’optimisme et d’imprévoyance.

Une bonne nouvelle. Au cœur d’un mois de novembre considéré généralement comme le plus triste de l’année, en pleine déprime climatique, dans les rafales d’un tourbillon d’inflations et au milieu de parfums moscovites fleurant bon la guerre nucléaire, il fallait le faire. Il fallait appartenir, comme Guy Parmelin, à la tribu trop rare des optimistes forcenés.

Quelle est donc cette «bonne nouvelle» annoncée par notre ministre de l’économie? Eh bien que si le moral baisse, au moins le niveau monte. Celui du Rhin par exemple. Et plus généralement des lacs qui alimentent les barrages, grâce «aux pluies récentes». Nous en sommes donc là, à nous réjouir de la pluie, prêts à danser s’il le faut, pour doper la production d’hydroélectricité.

Bien sûr, quand un politique annonce une bonne nouvelle, c’est généralement pour adoucir la kyrielle de mauvaises qui l’accompagnent. Dans la foulée en effet le grand sachem Parmelin a détaillé, en cas de pénurie de gaz, les mesures qui seront imposées.

Par exemple une limitation à 20 degrés du chauffage pour les locaux privés et commerciaux. Pourquoi 20 précisément? Parce que cela correspond «au niveau 3 des thermostats» et que 19 par exemple cela aurait obligé à «des réglages trop compliqués». C’est à ce genre de petits détails que l’on reconnait une administration obsédée par le noble but de faciliter à tout prix la vie de ses administrés.

Bien sûr aussi, il y aura toujours des mauvais esprits pour suggérer que ce gain d’un degré serait «politiquement moins embarrassant pour le Conseil fédéral». Guy Parmelin a d’ailleurs un peu vendu la mèche en jurant ses grands dieux qu’il n’était pas question de transformer la Suisse en «un état policier» et que le Conseil fédéral préférera toujours compter sur «la responsabilité des citoyens».

Car longue, en cas de pénurie, sera la liste des installations interdites d’alimentation au gaz: piscines, saunas, radiateurs infrarouges, rideaux d’air chaud, foyers, barbecues, nettoyeurs à haute pression, tentes chauffées… Mais là encore le magicien Parmelin sort une bonne nouvelle de son chapeau: il sera encore possible, à condition d’utiliser une bonbonne plutôt que le réseau, de se livrer à cette activité très populaire dans nos régions: se griller un cervelas sous une pluie battante et glaciale.

En appeler à la responsabilité et au civisme des particuliers et des entreprises, c’est bien beau, mais cela a peut-être été rendu nécessaire par une apathie et une imprévoyance de l’Etat. Le conseiller national Roger Nordmann a ainsi pu rappeler récemment que la part du PIB suisse investi dans l’électricité n’avait quasi pas augmenté depuis les années 60: «Il va falloir investir bien plus ces prochaines années dans la transition énergétique et il faudra pour cela un fort soutien étatique car les entreprises ne pourront supporter ces coûts toutes seules.»

Plus que dans la montée des eaux du Rhin, la vraie bonne nouvelle, énergétiquement parlant, serait d’ailleurs plutôt à rechercher dans les prometteuses relations que la Suisse entretient avec un Etat très critiqué actuellement par des têtes molles soudainement saisies de footophobie aigue: ce satané Qatar que Berne voit «comme un Etat utile», ainsi que l’explique au journal «Le Temps» l’universitaire Hasni Abidi. Il ajoute que la Confédération a «préservé ses chances de faire grandir cette relation» en privilégiant «une approche compréhensive et prudente», qui pourrait se traduire par une montée «d’un cran dans le volume des investissements».

C’est ainsi que sous ses airs bonasses, le démissionnaire Ueli Maurer s’est déjà rendu deux fois à Doha, en juillet 2021 puis en mars 2022, et qu’il n’a pas fait le voyage seul mais accompagné du directeur de Gaznat, la société d’approvisionnement suisse.

On pourra toujours se boucher le nez, il n’en reste pas moins qu’entre fournisseurs de gaz, il ne semble pas absurde de privilégier celui qui organise une coupe du monde un peu ubuesque plutôt que celui qui agresse ses voisins. La poignée de russophiles maniaques qui restent pourront toujours rétorquer que la Russie a déjà fait les deux.