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Abonné au gaz

Guy Parmelin invite chacun à baisser un peu la flamme cet hiver. Ce qui fait rugir la cinquième colonne poutinienne.

«-Va donc eh patate. -Monsieur vous m’avez insulté. Oh si vous saviez qui je suis, vous déchanteriez. Ah ! je n’ai l’air de rien, mais je suis quelqu’un, je suis…-Quoi, quoi ? -Abonné au gaz!»

C’est peut-être le moment  de ressortir les vieux vinyles et de réécouter cette chanson de Bourvil à l’heure où être abonné au gaz n’a plus rien d’un privilège social dont on puisse faire étalage mais tourne au casse-tête et même au dilemme éthique. C’est ce que d’autres chansonniers viennent nous dire aujourd’hui, le fameux groupe punk russe, féminin et féministe, les Pussy Riot, qui ont réussi à prendre une salvatrice poudre d’escampette et fuir un pays où «appeler une guerre “une guerre” vous envoie dix ans en prison».

Entre deux concerts à Zurich et Genève, l’une des membres du groupe, Olga Borisova, s’adressant «au public suisse» déclare ceci dans le Temps: «L’argent, c’est le seul argument que Poutine et son cercle comprennent, c’est tout ce qui motive leurs actions. Une année, ils se désignent “nationalistes”, une autre, ils sont “chrétiens”, et, cette fois, ils se disent “antifascistes”. C’est pourquoi il faut un embargo total. Arrêtez d’acheter du gaz et du pétrole à la Russie, ou vous sponsorisez la guerre.»

Ce qui est évidemment plus facile à chanter qu’à faire. Le paradoxe dans cette histoire de gaz veut que ce soit le tyran sanguinaire Poutine qui pousse, en vicieux maître chanteur et en limitant drastiquement ses livraisons d’énergie, les abonnés au gaz à une vertu plus forcée que spontanée.

C’est ainsi que face aux risques de pénurie, le Conseil fédéral, par la voix de Guy Parmelin, propose une réduction volontaire de 15% de la consommation de gaz cet hiver, à savoir d’octobre 2022 à fin mars 2023. 15% c’est aussi la part du gaz dans la consommation énergétique totale de la Suisse. 40% de ces 15% concernent les ménages. Mais chacun est poliment invité à baisser un peu la flamme. «Les ménages, l’industrie, les services et l’administration publique», selon un inventaire à la Parmelin, avec un accent particulier mis sur «le chauffage des locaux qui présente le plus grand potentiel d’économie durant le semestre d’hiver. Une diminution de 1 degré peut faire baisser la consommation de gaz de 6%».

Si le civisme n’est pas au rendez-vous, c’est-à-dire si la consommation de gaz ne baisse pas, des mesures contraignantes seront imposées –contingentement, coupures, interdictions, etc.

Cet appel à la sobriété énergétique fait bondir Marco Chiesa, président d’une UDC à la fois climato-sceptique et pro-poutinienne, accusant «les partis de la gauche rose-verte» de «se réjouir secrètement» de la situation. «Cette crise les rapproche à grands pas de leur objectif: la rééducation de la population et la mise en place d’une dictature écologiste.»

Pour éviter cette dictature écologiste, les UDC, on le sait, préfèreraient que l’on soutienne la dictature poutinienne, en n’appliquant pas les sanctions de l’UE, en privilégiant une «neutralité stricte». Avec comme sympathique effet collatéral le gaz et le pétrole russes coulant à flots.

A ce fantasme de «neutralité stricte» le président du Centre, Gerhard Pfister, a répondu de manière particulièrement limpide: «Même un pays neutre ne peut pas traiter de la même manière l’agresseur et l’agressé. Si vous y consentez, vous n’êtes plus neutre, car vous faites le jeu de l’agresseur. Durant la Deuxième Guerre mondiale, la Suisse a essayé de maintenir une équidistance entre l’Allemagne nazie et les alliés. Une telle équidistance n’est pas possible aujourd’hui.»

Si l’on n’avait pas appliqué les sanctions de l’UE contre la Russie, ajoute Pfister «notre neutralité serait devenue indécente. La Suisse aurait servi de base logistique financière à la Russie en Europe, un hub en quelque sorte». Avant d’aller même plus loin: «Peut-être y a-t-il en Suisse des oligarques ou des entreprises de trading qui participent au financement de la guerre, mais qui ne sont pas dans le radar de l’UE. Dans ce cas, ce serait à la Suisse d’alerter l’UE et de coordonner notre action.»

Les Pussy Riot ne pensent pas autre chose: «Cessez d’être indifférents, agissez. La Suisse accueille de nombreux oligarques. Ils envoient leurs enfants dans vos écoles, possèdent des maisons. Cet argent, les oligarques l’ont volé aux Russes. Il faut s’en servir pour aider l’Ukraine.»

On pourra s’amuser de cette proximité de vues entre le président du Centre, ex Parti démocrate-chrétien, et un groupe punk qui avait fait intrusion en 2012 déjà dans la cathédrale du Christ-Sauveur à Moscou pour scander: «Marie mère de Dieu, chasse Poutine, Sainte-Marie mère de Dieu, deviens féministe.»

Il est à craindre, dans les deux cas, que les prières ne suffisent pas.