- Largeur.com - https://largeur.com -

Blocher le Munichois

Le vieux lion de l’UDC promet une initiative populaire en faveur de la neutralité intégrale. Ou quand les auto-proclamés patriotes ont des gueules de cinquième colonne.

Il n’y a pas que les thermomètres qui semblent devenus fous. Les montres paraissent aussi battre, si l’on peut dire, la breloque. Oui, au milieu de l’été 2022, l’actualité politique suisse s’avère être une initiative populaire –un projet d’initiative plutôt– lancée par… Christoph Blocher et dévoilée dans la NZZ, mais combattue à l’autre bout du pays dans les colonnes du Temps par…Micheline Calmy-Rey. Bonjour le grand bond temporel en arrière. A quand une réaction de Jean-Pascal Delamuraz ou du général Guisan?

Une bataille de old-timers, donc, autour d’une idée franchement faisandée: contraindre la Suisse à une neutralité intégrale, par laquelle il faut entendre, notamment, le renoncement à toute espèce de sanctions contre un Etat malfaisant et belliqueux, sauf celles qui émaneraient de l’ONU.

L’argument est des plus hypocrites puisque chacun sait, ou devrait savoir que, par la faute du Conseil de sécurité disposant d’un droit de veto, l’ONU est rarement, sinon jamais, en mesure de condamner un belligérant et encore moins de prendre des sanctions contre lui. Le belligérant en question trouvera en effet toujours le soutien d’un, ou de plusieurs, des cinq membres du Conseil de sécurité – Chine, Russie, Etats-Unis, France et Angleterre.

C’est ainsi que l’intervention de l’OTAN en ex-Yougoslavie, qui avait peut-être mis fin à une épuration ethnique en cours au Kosovo, avait pu être qualifiée de «guerre hors du droit», puisque la toujours sainte Russie y avait mis son veto. Même chose pour l’intervention américaine en Irak.

Micheline Calmy-Rey peut donc justement soutenir que si le texte de Blocher graverait dans le marbre de la Constitution cette notion de neutralité intégrale, «dans le cas de l’Ukraine, la Suisse n’aurait pas pu reprendre les sanctions de l’UE, mais seulement choisir quelques mesures pour éviter leur contournement». Et que donc le texte en question restreindrait «la marge de manœuvre du Conseil fédéral dans l’application de notre politique étrangère et dans la défense de nos intérêts».

On sait que nombre de responsables UDC parviennent difficilement à cacher leur admiration pour le tyranneau Poutine, admiration largement basée sur une méconnaissance crasse de la Russie. Non, Poutine n’est pas, comme on le croit trop souvent à la droite de la droite, le rempart ultime contre la menace de l’islamisme conquérant. Poutine n’a qu’un ennemi et ce n’est pas l’islamisme. Son ennemi, il le désigne quotidiennement depuis 20 ans: c’est l’Occident démocratique.

Lorsque la Russie de Poutine a massacré à large échelle des milliers Tchétchènes «jusque dans les chiottes», ce n’était pas parce qu’ils étaient musulmans, mais parce qu’ils étaient séparatistes. Exactement, tiens, comme les pro-Russes du Donbass.

Blocher n’étant sans doute pas aussi ignare que ses affidés, ses motivations pour promouvoir une neutralité intégrale qui ne serait dans le contexte actuel qu’un franc soutien à l’agresseur russe, doivent être cherchées ailleurs. Micheline Calmy-Rey n’est peut-être pas loin de la vérité quand elle suggère qu’en réalité cette initiative «vise à bâtir un avantage concurrentiel pour la Suisse dans une situation de conflit international. C’est un business model qui ne dit pas son nom».

Peu importe en réalité les vraies raisons. Cette notion de neutralité intégrale dégage de facto de forts relents capitulards, voire munichois. Citons une dernière fois une Micheline Calmy-Rey, décidemment en forme: «Intégrale, c’est-à-dire sans implication, ni économique, ni politique, ni militaire dans un conflit armé.» Bref, une neutralité qui «vise à ne rien dire, à ne pas bouger».

Par son soutien insidieux à une Russie poutinienne menaçant chaque jour ou presque l’Occident de pulvérisation nucléaire –Occident auquel la Suisse, par son histoire et ses valeurs, appartient évidemment, que Blocher et ses disciples le veuillent ou non–, l’UDC se révèle de toutes les formations politiques la moins patriote.