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Les promesses des cleantech suisses (2ème partie)

Animées par une volonté de responsabilité environnementale, les entreprises des cleantech s’imposent dans le paysage suisse. De la construction à l’agriculture en passant par l’énergie ou la captation de CO2, elles se développent dans tous les secteurs de l’économie.

Une version de cet article réalisé par Large Network est parue dans PME Magazine.

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Retrouvez la première partie du dossier ici.

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 5- L’agriculture se met au vert

Frederic Hemmeler, fondateur et CEO d’Aero41, a développé un drone «swissmade» pour la protection des cultures. La start-up née en 2019 et basée à Lausanne vient de clôturer une nouvelle levée de fond de 700’000 francs. Elle vend une vingtaine de drones (environ 35’000 francs pièce) par année, et 80% de sa clientèle travaille la vigne en agriculture biologique. «La Suisse est le dernier pays d’Europe où l’épandage par hélicoptère est encore autorisé. C’est écologiquement problématique puisque ces pulvérisations sont trop larges.» Ces surplus sont amplement diminués avec la précision inhérente aux drones.

Contrôlé par l’agriculteur, le drone à batterie électrique mémorise par «active learning» les spécificités de la parcelle et travaille de manière autonome. «Les exploitations agricoles sont aujourd’hui reprises par la nouvelle génération, plus compatibles aux nouvelles technologies et aux considérations écologiques.» Le marché des robots agricoles devrait d’ailleurs continuer de croitre de manière exponentielle entre 2015 et 2024, passant de 3 à 73 milliards de dollars selon le bureau d’études américain Tractica.

Autre initiative, xFarm, basée au Tessin, est une plateforme d’agriculture numérique. Elle facilite la collecte et l’analyse de données agriculture, de l’administratif à la traçabilité des produits. Infrascreen, basé à Neuchâtel, a quant à elle développé une technologie qui permet de chauffer les serres de façon plus efficiente, tout en permettant le passage de la lumière indispensable à la photosynthèse.

Solutions low-tech

«La technologie n’est pas le seul avenir de l’agriculture, soutient Thomas Verduyn, cofondateur et directeur de Légumes Perchés. Les Suisses ont déjà besoin de revenir à un maraîchage à leur échelle, sans gaspillage alimentaire, avant d’adopter une alimentation futuriste.» La start-up basée à Crissier (VD), lauréate du Prix SUD 2020, construit des potagers/fermes urbaines et aspire à «réduire le fossé entre la production et la consommation». Elle dénombre déjà une vingtaine de structures installées en Suisse romande, dont 50% sont installées en toiture, les autres entre les immeubles. Avec le bureau d’étude en agriculture urbaine qu’elle vient d’inaugurer, l’entreprise s’associe désormais aux architectes pour développer, dès le début du projet, un concept en agriculture urbaine adapté aux usages et pérenne.

L’entreprise compte six collaborateurs et a également collaboré avec Insolight, start-up vaudoise de panneaux solaires translucides. «Nos principaux concurrents pour les toits en ville sont les panneaux photovoltaïques. En nous associant, nous pouvons lier l’agriculture et l’énergie, et ainsi optimiser les espaces disponibles.»

6- Revoir la construction à l’heure de l’efficience

Près de 40% de la consommation d’énergie et environ 30% des émissions de CO2 en Suisse sont le fait du secteur immobilier, selon les données de l’Office fédéral de l’énergie. Optimiser les dépenses énergétiques de chaque bâtiment, c’est le credo de la start-up genevoise E-nno fondée par l’ingénieur Maël Perret. Ses algorithmes visent à réduire les dépenses énergétiques et l’empreinte carbone des bâtiments existants ou neufs. «Notre solution se compose d’un boîtier qui récolte différentes données, qui sont ensuite analysées par nos algorithmes dans le but de réaliser jusqu’à 30% d’économies annuelles de chauffage et d’eau chaude», indique Maël Perret. L’entreprise de neuf employés optimise aujourd’hui plus d’un million de mètres carrés de bâtiments en Suisse, avec à la clé une réduction de leur impact environnemental équivalent à 2500 tonnes de CO2 en 2022. «Jusqu’ici la numérisation du secteur immobilier a principalement concerné les activités de vente et de courtage, les acteurs se montrant plus frileux pour des installations technologiques. Mais l’augmentation des coûts de l’énergie et la pression législative augmentent l’attrait pour notre approche, unique en Suisse.»

Conception des villes intelligentes, amélioration de l’efficience énergétique, études environnementales ou de mobilité: la start-up EPFL Uzufly permet de traiter différentes problématiques cleantech avec sa solution de modélisations 3D ultra-détaillées réalisées à partir d’images aériennes 2D. «Aujourd’hui, notre technologie sert en premier lieu à l’aide à la décision ou à la communication, par exemple de la part des autorités envers leurs administrés», précise Romain Kirchhoff, fondateur d’Uzufly. Pour l’entreprise lausannoise: «Notre vision à plus long terme est de fournir une sorte de ‘Google Earth sous stéroïdes’, cinq à dix fois plus précis, capable de modéliser des villes entières, que ce soit pour aider les architectes à planifier leur développement urbain ou à mieux visualiser le potentiel solaire d’un quartier.»

Matériaux recyclés

L’innovation cleantech se base parfois sur des savoirs ancestraux. Voilà des millénaires que la terre constitue un matériau employé pour la construction, par exemple pour certaines parties des pyramides antiques. L’architecte Laurent de Wurstemberger et l’ingénieur EPFL Rodrigo Fernandez ont voulu lui redonner ses lettres de noblesse, tout en favorisant l’économie circulaire. Leur entreprise Terrabloc utilise ainsi la terre excavée sur des chantiers pour fabriquer des briques. Pour y parvenir, la start-up procède en premier lieu à l’analyse des propriétés de la terre récoltée. Celle-ci est ensuite concassée, mélangée, puis compressée sous formes de briques de différentes tailles, et plus récemment de cloisons. Des éléments qui sont ensuite utiliser pour construire des établissements scolaires ou des immeubles.

Un secteur porteur pour les investissements?

Plus de 500 milliards de francs de capital-risque ont été injectés dans le secteur cleantech au niveau mondial en 2020, selon une étude récente de BloombergNEF. Les investissements dans ce segment ont ainsi été multipliés par 25 au cours des vingt dernières années. Mais qu’en est-il des start-ups cleantech évoluant en Suisse? «C’est le plus souvent la maturité d’un projet qui déclenche une réponse positive du marché, les investisseurs demeurent souvent frileux face à des projets trop early stage», remarque Cyril Déléaval, coach en développement d’entreprise au sein de l’association Genilem. Avec la difficulté que le marché suisse est de petit taille, et présente des débouchés limités.»

L’expert souligne que les jeunes pousses technologiques possèdent souvent des compétences techniques très poussées, mais se montrent moins habiles en termes de marketing ou de vente. D’où l’importance d’associer différentes compétences au sein de l’équipe des fondateurs. «S’y ajoute par ailleurs la difficulté que dans certains segments, comme par exemple l’immobilier, les temps de décision peuvent être longs.»

Ainsi, les premières ventes réalisées ne vont souvent pas amener la croissance espérée. «Nous disons cependant qu’il vaut mieux amener une grande valeur ajoutée à peu de personnes, pour ensuite adapter ou revoir le proof of concept (POC) initial.» Il cite l’exemple de la start-up vaudoise Wegaw: sa solution d’intelligence artificielle servant à détecter les conditions d’enneigement a été revue pour désormais servir à optimiser la production d’énergies renouvelables. Encore faut-il savoir surmonter cette phase exploratoire. Le coach de Genilem souligne cependant que l’environnement start-up dispose d’une palette de soutiens comme Innosuisse, capables de fournir l’argent nécessaire à l’affinage de son concept.

Trouver des débouchés pour les start-up cleantech au niveau des PME suisses et européennes, qui ont besoin de technologies pour réaliser leur transition écologique, c’est l’ambition de Raphaël Herrera et Daniel Eskenazi. Les deux entrepreneurs genevois sont en train de lancer GoEko, une plateforme en ligne destinée à identifier les meilleurs leads pour les jeunes pousses suisses. «Il reste difficile pour les cleantechs d’obtenir une bonne visibilité à l’échelle européenne. Nous remarquons aussi les PME sont de plus en plus demandeuses de ce type de solutions en raison des contraintes règlementaires et des exigences des multinationales pour que leurs fournisseurs soient plus durables.»

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«Les cleantechs peuvent aider à réduire le superflu» 

Pierre Roduit dirige l’institut Énergie et environnement créé il y a 3 ans par la HES-SO Valais. L’organisation emploie 80 personnes actives dans la recherche et le développement de solutions pour la production, la gestion et le stockage d’énergies renouvelables.

Comment agir pour réduire les gaz à effet de serre en Suisse?

Pierre Roduit: La transition énergétique ne repose pas uniquement sur des solutions technologiques: elles doivent aussi être économiquement viables et socialement acceptables. Agir concrètement sur la transition réclame des compétences techniques, digitales, économiques et sociales que l’institut Énergie et environnement regroupe. À une échelle individuelle, il faut se demander où nous avons le plus d’impact sur l’environnement et réfléchir à ce qui nous importe vraiment. L’idée n’est pas de revenir au Moyen-Âge et de sacrifier tout notre confort, mais d’identifier dans notre mode de vie les éléments superflus.

Quels sont les domaines clés où l’efficience énergétique peut être améliorée?

Les bâtiments et la mobilité sont particulièrement impactant. La rénovation et l’isolation des bâtiments, ainsi que l’installation de panneaux solaires garantissent un gain énergétique important qui permettent, avec le remplacement des installations de chauffage par des solutions renouvelables (bois, pompes à chaleur), de réduire considérablement la consommation de gaz et de mazout. De même, l’électrification de la mobilité permet d’économiser deux tiers de l’énergie requise. Cependant, plus de la moitié des émissions de CO2 dont est responsable le pays sont produites à l’étranger. Il est donc nécessaire de tenir compte de l’impact de tous les biens que nous importons qui sont notre principale source d’émission de CO2. Il faut réduire les achats futiles et se diriger vers une consommation plus locale.

Les entreprises actives dans la cleantech peuvent-elles directement contribuer à réduire la consommation d’énergie?

Les cleantech jouent un rôle crucial pour nous aider à baisser notre consommation et réduire nos émissions de CO2. Les véhicules électriques et les panneaux solaires en sont des exemples emblématiques. Cependant, les avantages que peuvent apporter certaines cleantech doivent être considérés avec prudence. Leur participation à la transition est étroitement liée aux solutions proposées. Ce n’est pas une bonne idée de reprendre l’avion sans retenue sous prétexte qu’il est propulsé par du biocarburant, surtout si leur usage détruit des écosystèmes et sature des productions agricoles essentielles…Il est donc crucial d’avoir des cleantechs qui offrent de vraies solutions. La Suisse est bien positionnée, avec des entreprises plutôt spécialisées dans des domaines pointus, pour rester compétitives par rapport à l’international.

Qu’est-ce qui pourrait dynamiser encore davantage la transition énergétique?

Au niveau des technologies, de nombreuses solutions sont déjà disponibles. La clé consiste à leur donner une place dans notre quotidien. Je pense que la population est particulièrement disposée à mettre en place des changements favorables à la transition. Les gens vont même plus vite que les gouvernements! Il faudrait davantage de rapidité au niveau politique, mais la transition énergétique ne se fera que si chacun d’entre nous y contribue activement.

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Trois questions à David Avery, directeur cleantech chez Switzerland Global Enterprise.

Quels sont les perspectives des PME suisses du cleantech à l’exportation?

De nombreuses régions, comme la Nouvelle-Zélande et l’Australie, cherchent à éviter la mise en décharge des déchets. La prise de conscience croissante de l’importance de l’eau en tant que ressource constitue également une tendance majeure qui attire notamment le Canada, les États-Unis, l’Inde, ou encore le Royaume-Uni, par exemple pour le traitement de l’eau douce et des eaux usées. Nous avons aussi constaté récemment un fort intérêt pour l’Amérique latine, les entreprises étant à la recherche de nouveaux marchés. En outre, l’évolution vers des villes intelligentes alimente le besoin de capteurs, d’appareils connectés et de technologies permettant de collecter et de traiter les données nécessaires à la prise de décisions.

Dans quels secteurs les entreprises suisses sont-elles bien positionnées?

Les domaines de l’eau et des déchets, ainsi que pour les capteurs, qui peuvent avoir des applications dans de multiples secteurs. L’énergie et les mesures d’efficacité énergétique, par exemple pour des bâtiments efficaces, sont également reconnues et appréciées.

Quels sont les atouts et les défis de ces PME suisses?

Le haut niveau technologique, la qualité et la fiabilité des solutions proposées, l’expérience éprouvée sur de multiples marchés ajoute à l’attrait des solutions suisses. Les entreprises suisses doivent continuer à concentrer leurs efforts et à investir dans les marchés en adaptant leur approche aux conditions des pays étrangers.