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Les promesses des cleantech suisses

Animées par une volonté de responsabilité environnementale, les entreprises des cleantech s’imposent dans le paysage suisse. De la construction à l’agriculture en passant par l’énergie ou la captation de CO2, elles se développent dans tous les secteurs de l’économie.

Une version de cet article réalisé par Large Network est parue dans PME Magazine.

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Avec des investissements multipliés par dix en Suisse en l’espace de quelques années, les cleantech prennent de l’ampleur. «L’urgence climatique actuelle a favorisé la prise de conscience de la société, constate Jordi Montserrat, responsable de Venturelab, programme de soutien aux start-up suisses. Aujourd’hui, ces start-up trouvent leurs marchés et leur clientèle, ce qui leur facilite l’accès aux investisseurs. En outre, la population est désormais prête à payer davantage pour des solutions non-fossiles, moins polluantes, ce qui n’était absolument pas le cas il y a encore deux ou trois ans.» Les cleantech s’inscrivent dans un mouvement plus global de la société de valorisation des démarches visant à protéger l’environnement. Environ 8% des start-up créées en 2021 sont actives dans ce secteur, ce qui représente près de 40 nouvelles sociétés sur le territoire, soit une croissance de 30% par rapport à 2017 et de 100% par rapport à 2011. «Nous constatons des pics de création de start-up après les grands événements internationaux, tels que l’accident nucléaire de Fukushima en 2011 ou les Accords de Paris en 2015», relève Eric Plan, secrétaire général de CleantechAlps, organisation rassemblant les entreprises de la branche en Suisse occidentale.

Au total, ce secteur emploie en Suisse 5,5% de l’ensemble des travailleurs, soit plus de 207’000 emplois et représente 4,2% du PIB. Créée en 2010, la plateforme CleantechAlps vise à rassembler les entreprises, positionner la région comme référence internationale et promouvoir le domaine des cleantech dans l’économie, auprès du public et des institutions politiques. Elle compte plus de 1000 entreprises membres.

«Le concept à la base des cleantech –la volonté d’utiliser les ressources de manière durable– est transversal et touche tous les domaines de l’économie», poursuit Eric Plan. Les cleantech ne concernent pas seulement les énergies renouvelables mais regroupent aussi les entreprises qui favorisent l’économie circulaire, l’efficience énergétique, la gestion de l’eau, la mobilité ou encore le «smart grid», c’est-à-dire la gestion optimisée des réseaux électriques. Ces innovations impactent généralement différentes étapes de la chaine de valeurs. L’agritech par exemple, repense l’agriculture et donc l’alimentation. Chez Venturelab, les start-up actives dans ce secteur représentent environ 15% des entreprises soutenues, «mais même celles qui ne sont pas spécifiquement en cleantech cherchent désormais à intégrer une dimension environnementale à leur démarche, que ce soit par une réduction de leur empreinte carbone, l’énergie qu’ils utilisent ou leur mobilité», dit Jordi Montserrat.

Pour Eric Plan, de CleantechAlps: «La Suisse est à la pointe en matière d’efficience énergétique. Il reste néanmoins encore des filières à développer, à l’instar de l’hydrogène ou des agritech. Les entreprises doivent comprendre qu’adopter les cleantech n’est pas forcément coûteux, il faut juste voir au-delà du coût d’acquisition pour observer combien les frais d’exploitation diminuent avec une meilleure gestion des ressources. Il serait donc intéressant de repenser les modalités et les durées d’aides au financement.»

En comparaison internationale, la Suisse se classe en dixième position d’après le Global Cleantech Innovation Index de 2017. «En Suisse –contrairement aux pays nordiques aujourd’hui leader du domaine–, les cleantech ont comparativement longtemps souffert d’un manque d’investissements publics, souligne Jordi Montserrat. Les autres pays bénéficient également des fonds européens, ce qui manque gravement aux start-up suisses. On oublie trop souvent que dans les accords universitaires européens, il y a aussi des programmes de financement qui concernaient les start-up. La Suisse bénéficierait énormément d’accéder en direct à ce grand consortium de recherche et de soutien aux entreprises en démarrage.»

1- Réinventer la production et le stockage d’énergie

Des réseaux électriques intelligents au développement des installations photovoltaïques ou  encore le stockage d’énergie: le secteur énergétique concentre une part importante des efforts des entreprises suisses actives dans le secteur cleantech. L’entreprise neuchâteloise Solaxess, créée en 2015, s’est par exemple spécialisée dans la conception de modules solaires sans cellules ni connecteurs apparents. Proposés en blanc ou en n’importe quelle nuance de couleur, ces panneaux ont l’avantage de s’intégrer de manière plus harmonieuse aux bâtiments. Un procédé qui a notamment été distingué lors des Green Solutions Awards tenus à l’occasion la COP26 de Glasgow.

La start-up Smart Helio développe pour sa part une solution destinée à améliorer la productivité des installations photovoltaïques en combinant capteurs physiques et intelligence artificielle. «On construit beaucoup de parcs aujourd’hui, mais leur rendement est souvent déficient, notamment en raison de la maintenance requise, explique Maxine Cronier, responsable du business development chez Smart Helio. Notre solution permet de diagnostiquer et de prédire quand une centrale solaire est sous-performante et de fournir des conseils pour augmenter son rendement jusqu’à 10%. En utilisant l’analyse des données et le machine learning, notre logiciel réduit aussi les besoins en interventions manuelles de 80% par rapport aux solutions existantes.» L’entreprise emploie 13 personnes réparties entre la Suisse et l’Inde et vient d’ouvrir un bureau aux États-Unis. Elle compte aujourd’hui une quarantaine de clients à travers le monde, notamment des grands groupes énergétiques.

Solaire et végétation

Le Genevois Joris Vaucher s’intéresse lui aussi à la manière d’optimiser les installations photovoltaïques. Avec son associé Christophe Buchelin, il a fondé l’entreprise Lightswing Solar. L’objectif? Développer un système permettant d’installer sur des panneaux solaires bifaciaux verticaux, capables de résister au vent et aux intempéries tout en cohabitant harmonieusement avec les plantes installées sur les toits des immeubles.

«Il existe aujourd’hui un conflit d’usage entre végétation et photovoltaïque, indique le jeune entrepreneur. Celui-ci est amené à s’accentuer, car les autorités demandent toujours plus souvent de concilier les deux au sommet des bâtiments, dans le but de rafraîchir ces derniers et de favoriser la biodiversité.» Le directeur de Lightswing Solar précise que ce type d’installation permet aussi d’augmenter le rendement des cultures en optimisant la quantité de lumière reçue par le sol. «L’agrivoltaïque est un domaine qui présente un très grand potentiel en Suisse dans un avenir proche.»

2- Quand le réseau électrique devient intelligent

L’intégration des énergies renouvelables dans le réseau électrique représente donc un défi de taille, tout comme le contrôle de leur utilisation, problématique à laquelle répondent les solutions baptisées «smart-grid». Mieux gérer la production et la consommation électrique des bâtiments grâce à l’intelligence artificielle, c’est le pari de Neolec, start-up de 5 employés basée à Pully (VD). «L’énergie produite par les panneaux photovoltaïques est souvent perdue car non utilisée et non stockée. Le réseau électrique n’a pas été dimensionné pour absorber de si grandes quantités d’électricité», explique Nia Youmby, fondateur de l’entreprise et ancien trader en énergie.

Bientôt installée sur un nouvel éco-quartier de Delémont (JU), la technologie de Neolec permet de stocker l’énergie acquisse par le solaire sous forme de chaleur dans le ballon d’eau chaude, ou d’ajuster les périodes de chargement d’une batterie de stockage ou de recharge, notamment pour une voiture électrique. «Le but est d’éviter qu’une quantité trop importante de l’électricité produite soit redirigée vers le réseau du distributeur, qui la rachète souvent entre 8 et 9 centimes en région lémanique, un coût nettement moins élevé que son prix de vente, qui peut dépasser les 20 centimes.»

Contrôler pour optimiser

À Puidoux (VD), l’entreprise Depsys, fondée en 2012 et d’environ 40 collaborateurs, a développé la solution de monitoring GridEye. Lancée en 2016, cette technologie vise à surveiller le réseau électrique et à en optimiser la distribution grâce à une collecte de données précises. «Aujourd’hui, les gestionnaires de réseau n’ont pas la possibilité de voir ce qui se passe en temps réel, explique Michael De Vivo, cofondateur et CEO de Depsys. Notre solution consiste à déployer des capteurs sur le terrain qui communiquent entre eux et analysent le réseau afin d’optimiser et de répartir les transferts énergétiques tout en maintenant la stabilité.» L’entreprise figure parmi les 100 pépites mondiales 2022 identifiées par l’organisation Global Cleantech.

Pour Michael De Vivo, les technologies d’optimisation sont indispensables. «La transition énergétique se traduira par une décentralisation de la production d’électricité et s’accompagnera d’une augmentation de la demande, notamment en raison de l’électrification du parc automobile. Or, le réseau actuel n’a pas été conçu pour cela et se retrouve aujourd’hui déjà sous stress, ce qui risque de freiner considérablement la transition énergétique.» Près de 70% des distributeurs romands d’énergie, à l’instar de Romande Energie ou des Services industriels de Monthey ainsi qu’une dizaine de leurs homologues en Europe et en Asie se sont déjà dotés de la technologie développée par Depsys.

3- Capter et recycler le CO2

Le captage du dioxyde de carbone (CO2) est désormais considéré comme une étape essentielle, adossée à la transition énergétique, à l’accomplissement de la neutralité carbone à l’horizon 2050. Pour la première fois, cette technique a été mentionnée par le GIEC, dans le dernier volet de son 6e rapport publié en avril 2022.

En Suisse, l’entreprise zurichoise Climeworks s’est illustrée en 2017 en lançant la première installation de captage de CO2 du monde à Hinwil (ZH). Depuis, de nouvelles start-ups actives dans ce secteur ont vu le jour en Suisse romande. Fondée à l’été 2021, la start-up valaisanne Qaptis lancera début 2023 le prototype d’un dispositif de captage et stockage du CO2 pour camions semi-remorques. Après avoir levé près de 500’000 francs, la jeune entreprise, hébergée sur le campus d’Energypolis à Sion, qui cherche désormais à se financer via des actionnaires, développe une technologie capable de réduire de 90% les rejets de CO2 dans l’atmosphère sur ces véhicules. Elle fonctionne en trois étapes: récupération de la chaleur du moteur, captage et stockage du CO2. «La chaleur récupérée est utilisée comme source d’énergie principale pour alimenter notre dispositif, explique Théodore Caby, CEO et cofondateur de Qaptis. Cette technologie inédite permettra non seulement de diminuer drastiquement les émissions de CO2 dans l’atmosphère mais surtout d’y parvenir sans consommer davantage de carburant et ainsi éviter des surcoûts pour les transporteurs.»

Recycler plutôt que séquestrer

Développant le même type de technologie mais orientée sur les industries, la start-up genevoise WasteOlas, lancée en 2019 par quatre anciens étudiants de la Haute école d’ingénieurs de Fribourg, rejoints depuis par trois autres collaborateurs, propose une solution de captage des émissions de carbone avec la possibilité de réutiliser le CO2 piégé. «Notre technologie, dont le prototype sera prêt à l’automne 2022 pour les premiers tests en conditions réelles, permettra de capter le CO2 à la source pour ensuite le revaloriser de différentes manières» explique Isaline Fracheboud, directrice des opérations chez WasteOlas.

Cette solution «sur mesure» laisse deux options aux émetteurs de carbone. «Ils peuvent soit revendre le CO2 à des utilisateurs, comme l’industrie pharmaceutique, soit le réinjecter dans leur propre procédé pour ne plus avoir à se fournir auprès de fournisseurs externes, ce qui concerne par exemple les fabricants de boissons gazeuses, les brasseries ou la culture sous serres. C’est notamment intéressant pour les brasseries qui utilisent le CO2 tel quel dans leur procédé», explique la Genevoise. En somme, le recycler plutôt que de le relâcher dans l’atmosphère ou de le séquestrer sous terre comme le fait Climeworks.

Chez Qaptis, l’idée d’appliquer le recyclage aux émissions des moteurs à combustion –comme ceux présents sur les voitures–, séduit également. «À long terme, nous chercherons à coupler notre technologie avec celle des producteurs de carburant synthétique pour fabriquer du carburant à partir du CO2 capté, développe Théodore Caby. Les émissions seraient ensuite ré-interceptées pour synthétiser le même carburant, ce qui reviendrait à fermer la boucle du CO2.»

4- Mobilité électrique

Décarboner la mobilité représente un défi de taille: selon l’Office fédéral de l’environnement (OFEV), le transport routier est à l’origine de 32% des émissions de CO2 du pays. Un chiffre qui monte à environ 42% si l’on y ajoute la part du transport aérien. Dans ce secteur très gourmand en énergie carbonée, les innovations ne se sont pas fait attendre. Dès 2008, l’entreprise zurichoise Designwerk développe des moteurs électriques pour poids-lourds. La start-up de Winterthur sort son premier camion électrique en 2016.

Fondée en 2011, la start-up fribourgeoise Softcar, d’une trentaine d’employés, conçoit une technologie permettant de construire des véhicules à faible empreinte carbone et à bas coût. «Nous avons drastiquement réduit le nombre de pièces nécessaires à la construction d’un véhicule, de plusieurs dizaines de milliers à seulement 1’800, et utilisons des polymères et des matériaux composites entièrement recyclables» explique le CEO Jean-Luc Thuliez, ancien ingénieur chez Volkswagen et Smart, notamment.

Une fois chargé, le moteur peut parcourir 200 km, mais peut être équipé d’un prolongateur d’autonomie à gaz permettant d’effectuer 300 km supplémentaires. En phase test depuis deux ans, les premiers prototypes seront prêts fin 2022, s’en suivront les premières ventes de licences, des pré-commandes ayant déjà été passées. «Une fois les licences vendues, des micro-centres de production locaux écologiques verront le jour», indique Jean-Luc Thuliez.

De l’électricité dans l’air

Dans le domaine de l’aviation aussi, l’énergie verte commence à décoller. La start-up valaisanne H55, spin-off de Solar Impulse, est aujourd’hui à l’avant-garde de l’innovation en la matière: elle développe un système modulaire qui permet d’équiper plus facilement les appareils de batteries électriques.

À l’instar de Softcar, H55 ne communique pas ses chiffres financiers mais fait part d’une croissance vigoureuse. «Nous embauchons en moyenne 3 nouveaux ingénieurs chaque mois, soutient André Borschberg, cofondateur et président de l’entreprise. Si bien que près de 60 ingénieurs travaillent sur notre site sédunois.» Après un premier vol test réussi en 2019 à Sion sur un petit avion biplace entièrement électrique, la technologie de H55 s’est aussi exportée en 2021 au Canada, pour la conception d’hydravions électriques par magniX, ou avec le constructeur de moteurs Pratt & Whitney Canada, qui cherche à développer une propulsion hybride pour avion court-courrier.

Alors les avions 100% électriques, c’est pour bientôt? «Nous sommes en bonne voie pour équiper les aéroclubs de petits avions électriques servant à la formation des pilotes dès 2024, mais c’est un processus long car les normes de sécurité sont extrêmement strictes», répond André Borschberg.

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