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Une assurance obligatoire contre les tremblements de terre

C’est une question qui agite le monde politique depuis plusieurs décennies: faut-il contraindre les propriétaires à contracter une assurance contre les tremblements de terre?

«En Suisse, la terre tremble en moyenne 500 à 800 fois par année, mais seuls dix à quinze séismes, d’une magnitude supérieure à 2,5, sont perceptibles par l’être humain, explique Blaise Duvernay, responsable du domaine séismes à l’Office fédéral de l’environnement (OFEV). À partir d’une magnitude 5, il faut s’attendre à ce que des bâtiments subissent des dégâts faibles à moyens, dans un périmètre restreint, avec cependant des dommages parfois importants à leur contenu.» L’aléa sismique (voir définition ci-contre) demeure modéré en Suisse en comparaison avec d’autres pays. Il n’en reste pas moins que des tremblements de terre importants peuvent s’y produire, pouvant atteindre une magnitude 7.

On dénombre douze séismes qui ont causé des dommages conséquents dans le pays depuis le XIIIe siècle. À commencer par le séisme qui a frappé Bâle en 1356 (magnitude 6,6), et plus récemment celui de Sierre en 1946 (magnitude 5,8) ou du canton d’Obwald en 1964 (magnitude 5,3). Les zones les plus concernées par un aléa sismique élevé sont le canton du Valais, la région bâloise, le Rheintal saint-gallois, l’Oberland bernois, l’Engadine et certaines régions de Suisse centrale. «Mais n’importe quel endroit de Suisse peut être touché par un tremblement de terre, poursuit le spécialiste de l’OFEV. Le risque est d’ailleurs essentiellement concentré dans les grandes agglomérations du fait de la densité d’urbanisation et de la concentration de biens et non dans les régions ou l’aléa est le plus élevé.»

Sécurisation

La Suisse n’a pas souffert des conséquences d’un séisme majeur au cours des dernières décennies. Les événements historiques et les situations vécues dans des pays limitrophes, comme le tremblement de terre de magnitude 6,3 qui a touché la commune italienne de L’Aquila en 2009, soulignent cependant le besoin de se préparer à cette éventualité. «Un tremblement de terre de magnitude 6 représente un potentiel de dommages qui se chiffre en milliards, voire dizaine de milliards de francs.»

La principale mesure de prévention concerne la construction parasismique. «Nous observons une dynamique positive en la matière depuis une vingtaine d’années, même s’il reste beaucoup à faire, observe Blaise Duvernay. Nos normes de construction sont bonnes et régulièrement actualisées. Nous avons même depuis 2004 une norme concernant la sécurité sismique des bâtiments existants. Très en avance sur les dispositions étrangères, elle a été actualisée en 2017 et permet de répondre à la question du niveau de sécurité minimum à atteindre pour les constructions existantes et de fixer des principes pour les mesures de renforcement.»

Un autre sujet qui a gagné en importance ces dernières années concerne la sécurisation des éléments non-porteurs comme les façades, les faux plafonds ou les chaudières. «Ces éléments peuvent causer de gros dégâts en cas de séisme. Nous essayons de mettre en place divers standards et méthodologies pour les sécuriser, mais il n’est pas évident de définir les responsabilités de chacun, au contraire des structures porteuses qui sont du ressort des ingénieurs civils.»

Responsabilité

La plupart des compagnies d’assurance proposent aujourd’hui une couverture pour les dommages en cas de séisme. Une option qui n’a cependant été adoptée que par 10% des propriétaires. Depuis vingt-cinq ans, le sujet d’une assurance obligatoire contre les tremblements de terre revient aussi régulièrement sur la table. Des motions déposées au début des années 2010 par le conseiller aux Etats valaisan Jean-René Fournier ou la parlementaire Susanne Leutenegger Oberholzer n’ont cependant pas trouvé grâce aux yeux des différents acteurs impliqués, à commencer par les associations de propriétaires.

«La question d’une obligation d’assurance est contraire à la liberté et la responsabilité de propriétaires, et c’est pour cette raison nous y sommes opposés, dit Christophe Aumeunier, secrétaire général de la Chambre genevoise immobilière (CGI). En outre, dans toutes ces discussions, jamais les partisans de cette assurances n’ont pu prouver que celle-ci serait solvable le moment venu tant le risque à assurer est colossal.»

Solidarité

Le dernier projet en date pourrait cependant trouver une majorité politique. Il prévoit la création d’une assurance contre les tremblements de terre sous la forme d’un système d’engagements conditionnels. «La crise sanitaire a montré l’importance d’anticiper les situations graves qui peuvent toucher le pays, explique le conseiller national fribourgeois Pierre-André Page, rapporteur et soutien de cette motion. Avec la solution proposée, les propriétaires de bâtiment seraient ainsi mis à contribution uniquement en cas de survenue d’un événement, sur la base d’un montant déterminé en fonction de la valeur de leurs biens. Il présente l’avantage de combiner rapidité d’action et solidarité en cas de catastrophe.»

Après l’approbation de la motion tant par le Conseil des États que par le Conseil national l’année dernière, un groupe de travail parlementaire planche désormais sur un projet de loi. «Je suis optimiste quant à sa réussite, dit Pierre-André Page. Il faut cependant trouver une formule qui prenne en compte les inquiétudes des opposants et bénéficier d’une large consultation des milieux concernés.» Le projet de loi devrait être présenté dans les deux prochaines années.

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Aléa sismique: Probabilité qu’un tremblement de terre destructeur se produise dans une région et pendant une période donnée.

Risque sismique: Probabilité qu’un séisme provoque des destructions et des victimes.

Magnitude: En 1935, le sismologue américain Charles F. Richter a été parmi les premiers à proposer un système permettant de mesurer l’intensité des tremblements de terre. Bien qu’elle demeure communément utilisée par le grand public, l’échelle de Richter a depuis été remplacée par l’échelle de magnitude de moment, qui quantifie plus précisément l’énergie d’un séisme à l’aide des basses fréquences émises par les ondes sismiques.

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Une version de cet article réalisé par Large Network est parue dans le magazine Entreprise Romande.