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Alain Berset ou la vraie vie

Le conseiller fédéral fribourgeois accumule les mésaventures. La malchance n’y est sans doute pas pour grand-chose.

Mais où donc s’arrêtera-t-il? On ne tient plus Alain Berset. C’est au point, comme on le sait, qu’un grand pays limitrophe et néanmoins ami a dû déployer ses forces militaires aériennes pour le faire revenir sur terre.

La petite balade solitaire et brutalement interrompue du pilote amateur Berset en France voisine aura fait à peu près autant sensation que l’attaque d’une vache grisonne par une meute de loups. Comme si un loup, ça devrait se contenter de ne manger que du mouton, et un conseiller fédéral ne pratiquer comme hobby que la marche à pied et la lecture.

Evidemment, pour Berset cela arrive un peu comme une cerise goûteuse sur un gâteau déjà chargé, après avoir vu son ex-chef de la communication passer par la case prison, soupçonné dans l’affaire d’espionnage Crypto de violation du secret de fonction. Après aussi, et personne ne l’a oublié, avoir bien amusé une population et une caste médiatique presque reconnaissantes –car habituellement frustrées de ce genre de joyeuses frasques de la part d’un conseiller fédéral– avec une histoire de liaison extra-conjugale, agrémentée d’une balade en limousine de fonction et suivie d’une belle affaire de chantage.

Après enfin, avoir endossé sans état d’âme le costume du super-héros sans peur, mais avec pas mal de reproches, dans la lutte contre l’épidémie et s’être mis à dos tous les zinzins anti-vax et l’arrière ban des complotistes compulsifs. Et ce tout en devenant, par le cortège déployé des mesures de restrictions sanitaires, la cible préférée d’une UDC soudain très sourcilleuse et délicate en matière de libertés publiques, au point d’affubler le Fribourgeois du titre très honorifique de «dictateur». Venant d’admirateurs de Poutine, le reproche était plutôt croquignolet.

Un reproche en tout cas rarement essuyé par un conseiller fédéral, au pays du pouvoir si savamment dilué par les institutions. Même un Blocher ou un Couchepin lors de leur passage au gouvernement n’avaient pas eu droit à cet honneur. Chapeau donc, ou plutôt, borsalino l’artiste.

Bien sûr, on peut admettre qu’une bonne partie de la hargne qu’il déchaîne contre lui tient au fait qu’Alain Berset se retrouve au centre d’un jeu politique en vue d’une recomposition du Conseil fédéral l’an prochain. Un jeu consistant entre autres à mettre la pression sur le deuxième siège socialiste, jusqu’à le faire éventuellement craquer.

Mais on peut aussi se demander si cette accumulation et ce mélange détonnant de mésaventures cocasses et d’autoritarisme viril a quelque chose à voir avec le fait que Berset, élu conseiller aux Etats à 33 ans et conseiller fédéral à 39, n’avait jusque-là, contrairement à la plupart de ses homologues, connu dans son existence que deux mondes particulièrement clos: celui des études et de la politique.

Une trajectoire éclair et lisse mais pauvre, pourrait-on imaginer, en contacts avec ce que certains appelleraient pompeusement la vraie vie. Peu de sensations fortes, et nulle aventure un peu émoustillante. Bref, cela n’a pas dû être drôle tous les jours pour Alain Berset.

Mais tout cela c’était avant. Depuis, il aura donc vécu un vaudeville, sous la forme d’une histoire salée de cornecul, augmentée d’un rebondissement policier croustillant, s’est retrouvé plongé dans un roman d’espionnage, aura goûté à l’illusion du pouvoir absolu et enfin, couronnement du tout, aura violé à lui tout seul l’espace aérien d’une puissance nucléaire.

Normalement, un conseiller fédéral ne se comporte pas comme ça. Posons donc comme hypothèse, face au mystère et à l’anomalie Berset, que ce qui pousse et anime cet homme-là, c’est, comme pour tout le monde, l’innocente recherche du septième ciel.